Le monde arabe face à l’URSS

1990-10-12:: Le nouvel Afrique – Asie N° 15

 

Quelle est là réalité du malentendu arabo-soviétique ? Avec la fin des relations d'alliance stratégique avec Moscou, les Arabes doivent-ils sacrifier le patrimoine commun de compréhension sur l'autel d'illusoires promesses américaines?

 

L'Union soviétique se plaisait à  dire avant la perestroïka qu'elle était l'amie des Arabes, comme de l'ensemble des pays du tiers monde. Elle soulignait, pour en attester l'importance, la multiple contribution économique, politique et culturelle qu'elle apportait à ces pays, notamment dans le domaine de la lutte anti-israêlienne, et dans le soutien à la cause palestinienne. Mais les pays occidentaux, comme les courants idêologico-politiques qui leur étaient favorables dans le monde arabe ne voyaient dans une telle politique que l'expression de l'égoïsme soviètique utilisant les Arabes dans la guerre froide au dé-triment de leurs propres intérêts.

En réalité, le camp arabe qui avait souvent tendance à critiquer la politique soviétique proche-orientale, en l'accusant - par opposition à la politique de soutien inconditionnel apporté par les Etats-Unis à Israël -de manque de vigueur et de consistance, a bénéficié dans son ensemble, indépendamment de ses divergences idéologiques, d'un rapport de forces régional favorable, créé en grande partie par l'aide politique et militaire des Soviétiques. Et cette vérité na jamais été aussi bien sentie que de-puis les changements intervenus dans la politique internationale soviétique dans le cadre de la perestroïka. C'est avec un sentiment de "lâchage"  que les pays arabes, prosoviétiques et prooccidentalL  confondus ont vécu et  viventencore, le relatif retrait stratégique de Moscou au Proche-Orient ou l'effondrement de sa stratégie planetaire.

Mais c'est surtout le déclenchement de l'immigration des juifs so-viétiques vers la Palestine occupée et l'alignement relatif et apparent, du moins sur le plan diplomatique et économique, sur la position amèricano-occidentale, conséquences de ce retrait même, qui risquent de brouiller complètement les cartes, renforçant le camp des antisoviétiques dans le monde arabe. Les courants islamistes qui n'ont jamais été tolérants à l'égard du communisme, éprouvent un plaisir particulier à rappeler tous les jours aux nationalistes arabes, alliés traditionnels des Soviétiques, la trahison de ces derniers et leur alignement définitif et attendu sur la position de leurs confrères occidentaux.

 

Doutes et incompréhensions

Les nationalistes, ou ce qui en reste, essaient de répliquer en invo-quant la puissante pression américaine sur Mikhail Gorbatchev, au moment où l'Union soviétique se débat dans une situation économique inextricable. La responsabilité de Moscou ne peut se comparer ainsi à celle des Etats-Unis. Quant aux courants communistes et marxistes, leur problême reste de savoir si le nou veau régime constitue une contre révolution capitaliste ou une révolution aidant à réhabiliter un communisme usé. Le résultat de tout cela est que l'on ne sait plus si l'Union soviétique reste dans le camp des amis des Arabes et du tiers monde, ou si elle a basculé dans le camp des impérialistes.

L'ambiguïté de la politique soviétique durant les deux dernières an-nées concernant la question des nationalités en Union soviétique même, le soutien aux causes arabes. la proclamation répétée des diplomates que les relations arabo-soviétiques doivent étre fondées désormais sur le principe de l'intèrèt réciproque. la diminution del'aide miltaire et économique fournie aux pays et organisations arabes traditionnellement pro-soviétiques, ne pouvaient que renforcer cette attitude de doute et d'incompréhension des Arabes comme du reste du tiers monde à l'égard des dirigeants de la peres-troïka.

Les questions que se pose le monde arabe comme l'ensemble du tiers monde concernent donc essentiellement la nature de ce bouleversement dans la politique extérieure sovietique. S'ag it-il d'un prélude a une rupture définitive entre les deux parties, préparant l'unification de la position du Nord contre le Sud, ou simplement de l'expression d'un certain egarement dù a la rapidite de la transition que vivent les relations internationales ? Quel sera le role de l'Union soviétique démocratisée sur l'échiquier mondial? Y a-t-il de nou-velles bases sur lesquelles pourra s'établir la nouvelle coopération, et lesquelles ?

Il est évident que l'Union soviéti-que faisant partie ou espérant pou-voir faire partie, de la Maison de l'Europe ne peut plus jouer le role de supporter universel des mouvements de libération nationale et des gouvernements nationalistes, d'autant que les programmes politiques de ceuxci ont perdu beaucoup de leur légitimité et de leur cohérence. Dans ce sens, il est vrai que le rapprochement américano-soviétique va à l'encontre des pays du tiers monde qui se trouvent de plus en plus seuls face aux pays industrialisés. Il est évident aussi que les priorités la stratégie mondiale el les intèrèts soviétiques ont changé depuis la décision de Moscou de rompre avec la guerre froide et de miser totalement sur le climat de détente permanent pour favoriser le developpement cconomiquc du pays .

Cependant a moyen terme İl n'est pas évident que l'Union soviétique trouve des solutions rapides â ses problèmes internes, ni qu'elle réus-sisse son intégration dans cette Europe unifiée ou réconciliée. L'idée simpliste selon laquelle la fin de la guerre froide signifiera la fin de toute concurrence entre Soviétiques et Occidentaux se fonde surl'ignorance du changement radical dans les lois de la compétition mondiale. En effet, nous sommes devant une nouvelle stratégie qui tente de fermer le front de la course aux armements afin de pouvoir mieux se concentrer sur celui du développement. Et dans cette perspective nouvelle. l'Union soviétique aura encore plus besoin que par le passé de ses zones d 'influence traditionnelles ou nouvelles.

Il en va de même en ce qui concerne la nature des relations que l'Union soviétique risque de développer avec les pays du tiers monde. Si la nature de l'enjeu a changé, l'enjeu lui-même n'a pas disparu. Il n'est pas vrai par exemple que les relations de l'Union soviétique avec le monde arabe étaient fondées simplement sur des principes idéologiques, sans rapport avec l 'intérêt à moins que l'on ne compte que l'intérêt matériel et financier direct, sans penser aux intérêts politiques et stratégiques. Que l'Union soviétique opte pour une nouvelle stratègie dans laquelle le soutien inconditionnel aux causes du tiers monde nest plus payant. ne diminue en rien lïntérèt qu'elle pourra avoir pour le maintien d'une position économique, et donc politique, forte dans le tiers monde en particulier dans la région arabe.

 

Nouvelles règles du jeu

Une Union soviétique libéralisée comptant sur un nouveau décollage économique a avantagea  être plus agressive dans la compétition extérieure qu'elle ne l'a ete avant la perestroïka. Méme au Proche-Orient. il s agit moins dun retrait soviétique devant les Etats-Unis que d'une réorientation generale de la stratégie sovictique globale. et qui ne peut pas ne pas avoir de répercussions sur sa politique extérieure. Seulement, dans ce domaine plus qu'ailleurs les choses ne sont pas encore claires, ni dans la tête des Soviétiques ni dans celle des Améri-cains. La traduction exacte de cette nouvelle politique dans les réalités mondiales dépend de ce que les Soviétiques vont obtenir deleur nouvelle stratégie comme de l'évolution de l'ensemble de la situation internationale.

Cette incertitude qui plane sur les relations internationales ne doit pas cependant nous empêcher de voir  l'importance des enjeux que comporte la sauvegarde des relations de coopération et de soutien mutuels entre les Soviétiques et les pays du tiers monde, les Arabes au premier chef. Pour les Arabes soumis à un défi majeur de la part d'Israël, la coopération avec l'Union soviétique, comme d'ailleurs avec l'Europe, est une exigence première de toute stratégie visant à contrebalancer le soutien inconditionnel des Etats-Unis à israël.

L'Europe et l'Union soviétique qui se trouvent concurrencées par une hégémonie américaine de plus en plus agressive. bien que déclinante. ont également un grand intérét stratégique, mais aussi politique et économique à ne pas laisser le monde arabe basculer définitivement dans le camp américain ou se distoquer complètement. L'entente franco-soviétique qui se précise jour après jour contre le recours â une solution militaire de la crise du Gollè et pour une conférence internationale sur le confüt israélo-arabe trad-duit en tout cas ce souci.

Les motivations pour de telles coopèrations sont, donc, importantes et tout à fait partagées. Ce qui manque, en revanche, ce sont la lucidité et la capacité de vaindre le choc du changement et de sortir le plus rapidement possible de la situation actuelle de méfiance et de désar-roi. pour entamer de nouveau le dialogue afin de redéfinir de nouvelles règles du jeu et d'éclaircir les positions des uns et des autres.

Dans cette persrcctive les Soviétiques qui cherchent a se reposition- ner sur l'échiquier mondial, découvriront l'intérèt de compter sur le capital de sympathie que leur politique traditionnelle de soutien aux mouvements de libération nationale a su accumuler Quant aux Arabes, ils ont tout intérêt à penser que si des relations d'alliance stratégique avec l'Union soviétique ne sont plus possibles dans l'état actuel des choses, rien n'empêche, bien au contraire, de garder avec elle des relations de coopération et d'amitié. En tout état de cause. les Arabes comme les Soviétiques n'ont aucun intèrét â sacrifier un patrimoine commun de compréhension et de collaboration pour des promesses américaines qui ne tarderont pas à apparaitre comme de simples illusions.