GEOPOLITIQUE ET DEMOCRATISATION

2005-06-28:: Le Moyen Orient

Le Moyen Orient à l'épreuve de l'Irak, éd. Acte Sud


Depuis le 11 septembre 2001, la question de la démocratie semble constituer l'un des sujets de préoccupation de l'Europe, des Etats-Unis mais aussi de l'ensemble des Etats et gouverne¬ments dans le monde. Elle fait partie de tout un programme de réformes que les grandes puissances cherchent à faire appli¬quer au Moyen-Orient arabe. Celles-ci ne cachent pas que l'objectif que visent ces réformes économiques, politiques, sociales et éducationnelles reste, malgré tout, la lutte contre une violence de plus en plus menaçante et face à laquelle elles se sentent de plus en plus désarmées. Et l'on sait que les néo¬conservateurs américains ont fait de la démocratisation de la région un nouveau cheval de bataille et s'en sont servis pour justifier l'occupation de l'Irak.


1. CULTURE DE VIOLENCE
OU DEFIANCE DE L'APPROCHE CULTURALISTE

Pour expliquer la montée de la violence au Moyen-Orient, beaucoup d'analystes ont eu souvent tendance à mettre l'accent sur des facteurs dits civilisationnels. Certains ont mis en cause les croyances religieuses, d'autres ont insisté sur l'impact de la culture des sociétés arabes ou de leurs élites. Ils ont souligné le fait que l'islam n'accepte pas la séparation des pouvoirs temporel et spirituel, qu'il appelle au jihad et fait du combat contre les infidèles un article de foi 1. D'où un regain d'inté¬rêt chez les chercheurs et dans l'opinion publique occidentale pour la lecture du Coran et ses interprétations. D'autres ont insisté sur la culture arabe qui serait restée archaïque, imper-méable aux valeurs de la modernité, faisant ainsi le lit de la xénophobie et du rejet de l'autre 2. Par leur religion et leur culture, les sociétés arabes seraient incapables de s'insérer dans la civilisation moderne, que ce soit au niveau de la pro¬duction de ses éléments matériels et techniques ou à celui de la diffusion de ses valeurs morales et politiques. Elles ne peu-vent quitter leur traditionalisme pour rejoindre la modernité comme elles ne peuvent sortir de leurs systèmes despotiques orientaux pour vivre en démocratie. La mauvaise gouvernance, le sous-développement, l'arbitraire, les inégalités, la discrimi¬nation envers la femme et le retard dans l'assimilation du savoir seraient ainsi l'expression d'une civilisation qui ne peut pas évoluer ou ne veut pas évoluer, et non le résultat des poli-tiques appliquées par des dirigeants arrivés au pouvoir dans des conditions historiques, politiques et géopolitiques précises 3.


Pour un esprit moderne et rationaliste, accepter une telle explication constitue une démission morale et intellectuelle. Elle consiste, en effet, à vider la notion de responsabilité indi-viduelle de sa substance et à rendre des structures abstraites comme la culture, sinon des peuples entiers, responsables d'erreurs d'appréciation ou de stratégies de pouvoir mises en œuvre par leurs dirigeants, servant, souvent, leurs propres intérêts. Mais le plus grave est que cette explication laisse échapper à tout examen critique les choix politiques et straté-giques qui ont causé le sous-développement, la dictature ou le maintien de l'archaïsme.
Mais, au-delà de ces considérations morales et intellectuelles, les expériences des sociétés n'ont cessé depuis deux siècles de démentir cette interprétation. Toute l'histoire moderne des civilisations ou des nations du Sud, du Japon, de l'Inde, de la Chine, de l'Afrique et du Moyen-Orient a été hantée par la quête des progrès liés à la modernité, qu'il s'agisse de progrès matériels ou politiques. Les sociétés arabo-musulmanes n'y ont pas échappé. Depuis le début du XIXe siècle, les principaux combats qu'elles ont menés avaient pour objectif la moder¬nisation de l'Etat et de l'économie, l'émancipation politique et culturelle par la sécularisation de leurs cultures et la mise en place de régimes politiques constitutionnels et représentatifs. C'est ainsi qu'au projet de modernisation économico-étatique tenté par Muhammad Ali d'Egypte dès le début du XIXe siècle se sont ajoutées les entreprises non moins ambitieuses de moder¬nisation culturelle appelée Nanda et de réforme religieuse qui, à travers les écrits des penseurs comme Afghâni, `Abduh, Kawâkibî, Qasim Amîn, `Alî Abd al-Râziq et beaucoup d'autres, a jeté les bases de l'émancipation intellectuelle, sociale, poli-tique et individuelle. La foi musulmane comme la culture arabe n'ont pas empêché les sociétés du Moyen-Orient de se soulever, comme partout dans l'ancien monde, contre les pouvoirs despotiques locaux ou coloniaux, et de s'engager dans la révo-lution constitutionnaliste du début du XXe siècle comme dans la "révolution" nationaliste séculière des années 1950, ni dans u révolution sociale des années 1960. En effet, contrairement aux idées reçues, l'histoire moderne du Moyen-Orient a été comme dans les autres pays du Sud, celle du triomphe éclatant, dans tous les domaines, y compris celui de l'émancipation féminine, des idées du progrès et du modernisme sur es idées traditionnelles et conservatrices 4.
Jusqu'aux années 1970, parfois au-delà, les courants moder¬nistes dominaient fortement les sociétés de cette région, alors que les courants intégristes ou conservateurs sont restés minoritaires, sinon marginaux par rapport aux grands courants dominants. Le retour du conservatisme religieux et culturel a constitué plutôt une rupture dans un long processus d'inser¬tion dans la sphère économique, politique et intellectuelle de la modernité, marqué par le triomphe de la révolution indus¬trielle, scientifique et technique. Il s'est opéré parallèlemen à l'impasse dans laquelle la modernité moyen-orientale semble entrer depuis la rupture des équilibres dans les années 1970. l'effondrement du populisme (nationalisme) arabe porteur du nouveau projet de modernisation au xxe siècle, la mise en place de la nouvelle politique de colonisation dans les territoires palestiniens, la réhabilitation des schémas de domina¬tion néocoloniale. Ainsi, à l'échec de l'industrialisation s'est ajouté l'essoufflement des nationalismes d'Etat, l'instauration des systèmes politiques musclés, l'arrêt du développement. l'accroissement des inégalités, la généralisation de la corrup¬tion. La montée de l'intégrisme et le recul des valeurs de la modernité surviennent au Moyen-Orient avec la crise des sociétés et se développent parallèlement à son aggravation. Ils ne sont l'expression intrinsèque d'aucune culture, religion ou identité 5. Mais que veut-on dire aujourd'hui par crise du Moyen-Orient ?


II. LA CRISE DU MOYEN-ORIENT ET SA SIGNIFICATION

Si l'on observe la situation des sociétés moyen-orientales arabes dans les domaines de la sécurité, du développement et de la gestion politique, on devrait parler, selon les termes de plus en plus utilisés par les élites arabes elles-mêmes, non pas de crise mais de désastre. Les sociétés arabes sortent d'un demi-siècle de combat pour l'émancipation, l'égalité et la pros¬périté, déstructurées, déstabilisées, appauvries, démoralisées et désemparées. Sur tous les plans elles se trouvent dans une impasse.
Sur le plan de la stratégie et de la sécurité d'abord, les pays arabes ont non seulement perdu la guerre contre Israël mais également la bataille de la paix. Face à ce pays, ils se trouvent aujourd'hui plus que jamais impuissants, divisés et sans aucune alternative. La suprématie militaire d'Israël s'est affirmée plus encore que par le passé. Le soutien soviétique qui a permis l'instauration d'un équilibre relatif des forces, il y a un quart de siècle, a été remplacé en effet par l'engagement incondi¬tionnel des Etats-Unis aux côtés de Tel-Aviv, balayant ainsi tout espoir d'une médiation américaine en faveur d'une paix juste et durable tant souhaitée. La situation est encore plus désas¬treuse si l'on regarde du côté de la sécurité intérieure pour chacun des pays de la région. Ainsi, depuis les années 1980, il n'y a pas un pays de la région qui n'ait eu à gérer des conflits internes violents. Aujourd'hui encore on continue à compter les morts par dizaines chaque jour en Palestine, en Irak, mais également en Arabie Saoudite, au Soudan, en Algérie, en Syrie. L'échec du processus de paix de la conférence de Madrid en 1991, la poursuite de la politique de colonisation des terri¬toires palestiniens en Cisjordanie, à Gaza et au Golan et la mise en place de stratégies nouvelles contre le terrorisme ont érodé la souveraineté, réduit la marge de manœuvre et dis-crédité la politique des Etats arabes. La persistance de quelques résistances plus ou moins organisées ne peut dissimuler le sen¬timent de défaite, d'impuissance, d'incertitude et de désarroi qui y domine. Et bien que les dépenses militaires dépassent les 60 milliards de dollars par an, aucun pays arabe ne se sent pro¬tégé contre d'éventuelles agressions extérieures et encore moins contre des troubles intérieurs.
La perte par le monde arabe des moyens assurant sa sécu¬rité est la conséquence de son échec tant dans la construction d'un système de sécurité collectif que dans la mise en place de stratégies nationales fiables afin de prévenir les menaces de déstabilisation de toute sorte, mis à part le contrôle sécuritaire et répressif, largement utilisé, des populations. Il existe aujour-d'hui un vide stratégique qui empêche le monde arabe d'avoir prise sur les facteurs de sa sécurité. Il subit les impératifs sécu¬ritaires des puissances mondiales qui redoutent son éclatement et son implosion. Ainsi, ce monde qui n'a connu ni stabilité ni répit depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale redevient le terrain d'affrontement de toutes les stratégies extérieures. Il apparaît comme l'homme malade de la planète qui, malgré les initiatives dites de réformes ou de sauvetage, risque forte-ment d'être mis en quarantaine.
Sur le plan du développement, le constat d'échec n'est pas moindre. Les Rapports sur le développement humain pour la région arabe, publiés par le PNUD ces dernières années, en dépit des critiques qui leur ont été adressées par certains experts, décri-vent un monde arabe totalement désemparé. Non seulement il est en retard par rapport à toutes les régions du monde dis-posant de ressources semblables, mais c'est celui qui a fait le moins de progrès sur le plan économique et scientifique dans les trois dernières décennies. Le monde arabe regroupe aujourd'hui des sociétés très pauvres, avec un revenu annuel moyen de moins de 1 500 dollars par habitant, un taux de croissance zéro, voire négatif depuis plus de deux décennies, un système d'enseignement déficitaire, un analphabétisme qui dépasse les 40 %, un taux de chômage souvent de plus de 20 % avec environ 35 % de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Le même constat d'échec est observé dans les domaines scientifique et technologique. En effet, moins de 6 % des populations sont connectées à Internet et seulement 0,2 % du PNB sont consacrés à la recherche scientifique contre environ 1 % pour la moyenne internationale. Ces chiffres ne montrent pas seulement le fossé creusé en matière de déve¬loppement entre le monde arabe et les pays industrialisés, mais aussi avec l'Amérique latine, le Sud-Est asiatique, l'Inde, la Chine, la Russie, voire d'autres pays musulmans comme la Malai¬sie, l'Indonésie, la Turquie ou l'Iran.
Sur le plan de la gestion politique, le monde arabe donne l'exemple des rares régions qui ont résisté aux différentes vagues de démocratisation soulevées par l'effondrement du communisme soviétique il y a environ un quart de siècle. Au-delà de l'autoritarisme, de l'absence d'élections libres et com-pétitives pour toutes les sphères du pouvoir, c'est l'absence de dialogue et la rupture profonde entre les élites au pouvoir et les populations qui caractérisent la vie politique de ces pays. Ces dernières sont pratiquement exclues de toute participa¬tion à la prise des décisions les concernant tant sur le plan social que professionnel. Elles subissent, sans pouvoir réagir ou riposter, les décisions d'une bureaucratie rendue totale-ment autonome par sa suprématie "militaire" procurée par le contrôle sans partage de l'armée, des appareils de répression-sécurité et des revenus que génèrent le monopole économique et/ou l'exportation des produits pétroliers. La gouvernance se réduit dans ces pays à la gestion sécuritaire des hommes et des ressources de toutes sortes, en l'absence de toute vie politique digne de ce nom, d'autonomie de la société civile ou même d'un minimum de respect pour l'individu, sa liberté de con-science et ses droits. Le mot clé de cet ordre politique n'est autre que l'arbitraire.
Sous l'effet de cette crise généralisée qui se traduit par l'in-sécurisation collective et individuelle, la précarisation des conditions de vie, les injustices criantes, les menaces et la peur de l'avenir, les sociétés sont disloquées. Tous les équilibres, régionaux, politiques et éthiques, sur lesquels reposent l'ordre sociétal, la pérennité et la stabilité des sociétés, sont rompus. Et, en l'absence d'un système de normes acceptable et intério¬risé par l'ensemble de la société, la violence s'impose comme le seul régulateur des rapports entre individus, Etats et sociétés. 


Au-delà de la crise économique, politique et stratégique, s'instnstalle désormais une crise culturelle. C'est là l'origine de la violence du Moyen-Orient. Avant d'éclabousser le monde, elle a été, pendant des décennies, et est toujours, le "résumé" de la vie politique de la région, voire sa substance. C'est une violence diverse, physique et morale, qui frappe aussi bien le domaine de la société civile que celui de la société politique. Elle est également globale lorsqu'elle cherche à réguler les relations internationales et prend de plus en plus la forme de ce que certains théoriciens ont nommé la guerre des cultures ou des civilisations.
Comment en est-on arrivé là ?


III. SECURITE EURO-ATLANTIQUE CONTRE DةMOCRATIE ARABE : LA CONSPIRATION CONTRE LE CHANGEMENT

Cette crise est le résultat de l'échec des processus de moderni¬sation suivis par les Etats arabes depuis le xixe siècle auquel les stratégies sécuritaires et économiques du bloc euro-atlantique ont largement contribué. Cet échec qui a été commun à tous les petits pays qui n'avaient pas les moyens de suivre le rythme de la révolution techno-scientifique a été aggravé dans les pays arabes par le maintien en place, contre la volonté des peuples, de régimes à la fois despotiques et en faillite. Et il n'y a aucun doute que les régimes autocratiques et policiers dominant au sud de la Méditerranée, qu'ils soient de type patriarcal monar¬chique ou autoritaire républicain, n'auraient pas pu se perpé¬tuer avec leurs carences évidentes dans tous les domaines et malgré les révoltes répétées des sociétés s'ils n'avaient pas trouvé un soutien favorable auprès des grandes puissances, notam¬ment euro-atlantiques.
Après la fin de la guerre froide, une sorte de pacte de soli-darité mutuel et informel s'est même conclu entre les régimes en place et ces puissances au terme duquel ces dernières garan¬tissent la reconduction des élites en place en échange du main-tien de la stabilité dans la région, le respect de la sécurité d'Israël et la garantie des flux pétroliers. La convergence d'intérêts entre les élites moyen-orientales et les gouvernements occidentaux n'a pas fait que reléguer au dernier plan la question de la démocratisation des systèmes politiques, en banalisant par la même occasion l'état d'exclusion et d'impuissance des sociétés face à leurs pouvoirs, mais s'est, aussi, exprimée par une coopé¬ration étendue contre les éléments de changements possibles quelle que soit leur nature. La stabilité a été assimilée à la pré-servation des positions sociales et politiques acquises et s'est traduite par le gel de la situation. Pour justifier cette transac-tion des gouvernements euro-atlantiques avec les régimes despotiques moyen-orientaux, on s'est convaincu que ni la culture ni la religion des peuples de cette région ne permet¬tent d'envisager sa démocratisation. Je ne pense pas que l'on ait abandonné encore aujourd'hui réellement cette théorie.
L'explosion de la violence au Moyen-Orient est la consé-quence d'une longue accumulation de tensions, de contra-dictions, d'inégalités et d'injustices dues à une impasse à laquelle ont contribué des facteurs politiques, géopolitiques internationaux et régionaux. Que ce soit dans les territoires palestiniens occu-pés ou dans les autres pays de la région, l'ordre n'a été main-tenu que par l'emploi démesuré de la force, qu'il soit occulté ou non par des lois d'exception.
L'exportation ou la projection de cette violence sur la scène internationale, notamment euro-atlantique, n'est pas fortuite. Elle est le fruit d'une conviction de plus en plus affirmée au sein de larges secteurs de l'opinion arabe et musulmane que l'enlisement de la région dans la crise, le pillage économique, le maintien du statu quo et le blocage de la situation répon-dent aux souhaits du monde occidental, sinon délibérément organisés par lui. Ils sont le résultat de la conjonction des inté-rêts des élites locales et de ceux des gouvernements occiden-taux et de leurs stratégies sécuritaires. Les sympathisants des opérations terroristes internationales croient qu'en visant ces intérêts ils font pression sur le Nord pour qu'il lâche les gou-vernants arabes assimilés à des groupes vendus à l'étranger, incapables et traîtres à la fois. Les terroristes se présentent, pour leurs opinions publiques, comme les exécutants d'une stratégie nationale répondant aux intérêts et aux souhaits d'une grande partie de l'opinion.
Indépendamment de la solidité des arguments qui sous-tendent cette conviction, le soutien inconditionnel des Etats-Unis depuis des décennies à la politique guerrière israélienne, la complaisance de l'ensemble du monde euro-atlantique voire industriel à l'égard des violations des droits de l'homme par des dirigeants qui se comportent comme des maîtres absolus pour qui la loi peut être suspendue légalement par la procla-mation de l'état d'urgence ou simplement détournée sont cer-tainement pour beaucoup à l'origine de cette conviction. Le renversement radical de la stratégie américaine envers la région du Moyen-Orient après le 11 Septembre n'a fait que le confirmer. Face à la montée de la violence engendrée par le terrorisme, le camp euro-atlantique prend conscience de l'existence d'un Moyen-Orient malade de ses problèmes de sous-développement,

d'anarchie politique, de dictature, de discrimination, d'absence d'Etat de droit. Il promet, pour la première fois, des réformes globales qui, au-delà du simple engagement pour l'aide à la croissance économique, portent sur la démocratisation, l'ab¬sorption des déficits scientifiques et techniques, voire l'inté¬gration de la région dans un partenariat à long terme afin de garantir à ses populations un avenir meilleur et l'aider à sortir de sa longue crise.
D'ailleurs, malgré des divergences dans le ton et les priori-tés, les puissances euro-atlantiques n'ont jamais caché que leurs politique envers le Moyen-Orient est dictée par trois objectifs : la stabilité de la région qui contient les plus grandes réserves d'énergie fossile ainsi que les meilleures conditions de son exportation, la sécurité d'Israël qui répond à un enga-gement à la fois moral et politique envers la communauté juive qui a été victime de l'antisémitisme pendant des siècles, la protection des régimes pro-occidentaux, c'est-à-dire ceux qui acceptent de s'aligner sur les puissances industrielles et de servir leurs intérêts.
Cela dit, la situation actuelle dans le Moyen-Orient est au moins en partie le résultat de la stratégie adoptée dans les décennies précédentes par le camp euro-atlantique consistant à favoriser à tout prix la stabilité et la préservation du statu quo politique et géopolitique contre le changement. Susceptible de bouleverser les rapports de force nationaux et régionaux, ce changement a souvent été perçu comme une menace iné¬luctable pour l'influence occidentale dans la région. Cela explique les choix que les puissances euro-atlantiques ont fait à l'égard de cette région : rejet de principe de toutes les tentatives de regroupement ou d'intégration régionale visant à surmonter le morcellement imposé depuis la Première Guerre mondiale ; suspicion envers tous les mouvements à caractère populaire, nationaliste, marxiste ou islamiste, opposés aux équipes au pou-voir ayant la faveur du camp euro-atlantique ; soutien aux régimes autoritaires, indépendamment de leur incapacité ou

de leur manque de légitimité locale, de leur caractère parfois archaïque ou franchement fasciste, du moment qu'ils respec-tent l'agenda euro-atlantique ; refus enfin de s'engager dans les combats que mènent les modernisateurs de la région pour la rénovation et le développement de leurs sociétés.
C'est la raison pour laquelle tous les mouvements de con-testation vont lier leur rejet de l'ordre politique et social éta¬bli à la lutte contre l'influence occidentale ainsi qu'à la lutte anti-israélienne ou antisioniste. Cette identification par de larges secteurs de l'opinion arabe des régimes locaux et de leurs représentants aux intérêts des puissances étrangères n'a jamais été aussi générale.
Grâce à cette convergence d'intérêts entre les castes diri-geantes régionales et les puissances du Nord, toutes les tentatives par lesquelles certains mouvements politiques et intellectuels arabes ont essayé de dépasser l'ordre moyen-oriental ou de le transformer ont été réprimées avec force. Les premières sont celles qu'on a appelé les révoltes du pain qui ont marqué les années 1980 en Egypte, au Maroc, en Tunisie, et qui ont été associées en Algérie comme dans d'autres pays arabes aux revendications politiques. Les émeutes comme les manifesta¬tions de masse ont été réprimées partout dans le sang avec pour résultat la mort de milliers de personnes. A la résistance accrue des Palestiniens contre l'occupation israélienne, la réponse a été d'allouer plus de crédit pour le nouveau projet de colonisation juive et un appui militaire et politique plus grand à la politique du fait accompli d'Israël. Aux velléités de certains Etats de marquer leur indépendance, les puissances euro-atlantiques ont souvent réagi par des interventions mili¬taires directes et répétées (1956, 1967, 1973, 1980, 1982, 1991, 2001). Sortis renforcés de ces affrontements majeurs avec les premiers mouvements de contestation et sûrs de l'appui exté¬rieur dans leurs entreprises pour se maintenir à tout prix au pou-voir, les groupes dirigeants n'avaient plus aucune raison de faire de concessions ni de motivation pour réformer un système qui

leur garantissait désormais une position de suprématie et de domination sans partage sur les destinées des sociétés comme sur leurs ressources. A l'abri de toute contestabilité ou critique de la part des sociétés politiques déstructurées, ils perdaient leurs repères politiques et se laissaient emporter par une logique infaillible d'enrichissement personnel et d'autopro-motion. En moins d'une décennie, les groupes au pouvoir dans la plupart des pays arabes se sont transformés en réseaux d'intérêts particuliers qui se servent de l'Etat comme d'un ins¬trument de pression et de domination. Il n'y a pratiquement plus de gouvernements, d'administration ou même de société civile et de gestion dignes de ce nom, mais des réseaux d'intérêts qui siègent dans toutes les institutions pour régler ou décider du partage, toujours à redéfinir selon le nouveau rapport de force, des avantages matériels ou politiques. Une domination prolon¬gée et garantie par l'ordre international finit par transformer les pays en véritables fiefs féodaux que les parents cèdent en héri¬tage à leurs enfants sans que cela ne suscite aucune désapproba¬tion de la part des démocraties occidentales.


C'est une logique perverse dans l'approche des problèmes de la sécurité avec les pays du "Sud de la Méditerranée" pour les uns et "le Moyen-Orient" pour d'autres. La répression des mouvements de contestation qu'engendre une crise sans issue conduit à leur radicalisation et incite les pays du Nord à serrer encore plus les liens avec les régimes dictatoriaux et à fermer les yeux sur les violations des droits de l'homme et l'instaura-tion des lois d'exception.
Ainsi, le verrouillage du système grâce à cette coopération plus étroite entre les régimes arabes et les puissances du Nord a fini par éliminer toute chance de réforme et renforcer encore plus les tendances à la stagnation et à la corruption. Il a fait du recours à la répression un jeu facile pour faire face à toutes les formes de contestation, voire à toute manifestation de liberté d'expression.

Depuis les quatre dernières années et surtout depuis le 11 sep¬tembre 2001, la région ressemble à un navire à la dérive. Il n'y a plus aucun lien politique entre les gouvernants et les gouver¬nés, plus de dialogue ni d'échange, mais un rejet mutuel. Les Etats et les administrations sont en panne, et les sociétés sont dans le plus grand désarroi. Elles ont perdu toute confiance et ne voient aucune issue à la situation chaotique dans laquelle elles se trouvent. Les politiques occidentales sont bien sûr mises en cause par la majorité de l'opinion, non pour dédouaner leurs élites de leur responsabilité, mais pour désigner celui qui semble le vrai coupable, le chef d'orchestre qui a tout fait et qui continue de tout faire pour maintenir les groupes qui lui sont fidèles dans leurs fonctions. En réalité, l'opinion poli-tique arabe ne distingue plus entre les forces intérieures res¬ponsables de la ruine politique et morale de leurs sociétés et les forces extérieures qui les ont aidées.


IV. DICTATURE ARABE ET SECURITE EURO-ATLANTIQUE : POUR UNE NOUVELLE APPROCHE GEOPOLITIQUE

Nous avons tenté de montrer combien l'histoire du Moyen-Orient, avec ses dérives et ses crises, a été et est encore celle des interventions, des manipulations, des réactions et des incompréhensions liées à la question de la sécurité. A des plans de contrôle militaire ou politique maladroits, les peuples du Sud ont souvent opposé des défenses disparates ou peu ration¬nelles. Aucun des deux blocs qui se sont affrontés depuis des siècles n'a songé à regarder, par-delà les questions sécuritaires les concernant, les peuples d'en face, leurs problèmes de déve¬loppement, leurs aspirations légitimes au progrès, leurs diffi¬cultés, voire leurs propres problèmes de sécurité. A chaque plan d'intervention ou de manipulation mis en place par les puissances du Nord qui ont pris depuis deux siècles une avance spectaculaire sur le Sud dans tous les domaines, les sociétés du Sud ont répondu par des révoltes visant à mettre en péril les fondements de sécurité des sociétés du Nord. Et, aux nou-velles tentatives de pacification ou de prise en main, les pays du Sud ont opposé plus d'irrédentisme et de refus de coopérer.
Le résultat de cet enchaînement de violence et de contre-violence a été, et tout le monde en convient aujourd'hui, une situation inextricable au sud de la Méditerranée, avec pour conséquences des sociétés profondément insécurisées, des Etats autonomisés, des élites dominantes corrompues igno¬rant jusqu'à la notion de responsabilité politique, nationale ou régionale.
De cette approche traditionnelle, unilatérale et à courte vue, aucun des deux camps n'a vu ses objectifs réalisés. La sécurité euro-atlantique n'est pas plus assurée aujourd'hui qu'il y a un demi-siècle, et l'émancipation du Moyen-Orient ainsi que son intégration dans le circuit de la nouvelle civilisation techno¬scientifique sont aujourd'hui encore plus difficiles à résorber. Au contraire, des menaces continuent à peser sur l'avenir du Nord avec l'aggravation de la crise des sociétés moyen-orientales, la désorganisation et le retard difficile à rattraper dont les conséquences sont l'augmentation du chômage, la paupéri¬sation des populations et la dégradation accélérée des condi¬tions de vie morales et matérielles des sociétés.
Cette approche, qui a déjà très lourdement pesé sur la structuration géopolitique et stratégique de la région, conti¬nue encore aujourd'hui à se perpétuer d'une certaine manière à travers l'initiative américaine, dite du grand Moyen-Orient, que l'Europe cherche à rendre plus acceptable pour les gou-vernements concernés en rappelant la nécessité d'une solu¬tion négociée du conflit israélo-arabe. Les initiateurs du nouveau plan ne cachent pas en effet que l'objectif des réformes éco-nomiques, politiques et culturelles dont ils exigent l'intro-duction dans les sociétés arabes est de renforcer la sécurité des Etats-Unis et de leurs alliés. L'absence de développement, la perpétuation des régimes dictatoriaux et la persistance des méthodes d'enseignement et d'éducation archaïques sont, selon les experts, à la base des conditions qui favorisent l'ex-tension de l'extrémisme et du terrorisme anti-occiden taux.
C'est exactement cette approche sécuritaire qui sous-tend la mise en place de ce que nous appelons le système régional du Moyen-Orient, que le Nord maintient depuis plus d'un demi-siècle, qui est la cause principale des fractures qui ont mené le Sud et le Nord de la Méditerranée à se retrouver aujour¬d'hui dans un face-à-face sans issue. En se concentrant sur les objectifs sécuritaires, on est resté insensible aux graves pro¬blèmes qu'affrontent les sociétés de la région. La situation apparaît normale tant que les sociétés du Sud ne posent pas de problème ou n'échappent pas au contrôle. Le souci de main-tenir, coûte que coûte, leur contrôle et la stabilité au sud a conduit peu à peu les Occidentaux à défendre des régimes impopulaires courant le risque de contrarier les aspirations des peuples de la région.
Les inconvénients de ce choix politique n'ont pas été visibles sur le court terme, ils ont même été très payants puisqu'ils ont aidé à la préservation de la sécurité et des intérêts vitaux du camp euro-atlantique pendant plus d'un demi-siècle malgré toutes les pressions populaires nationalistes ou islamistes. Mais la situation a diamétralement changé depuis les années 1990. L'attentat du 11 septembre 2001 a marqué de façon drama¬tique le passage à une phase nouvelle dans les relations entre l'arc arabo-musulman du Sud et l'alliance euro-atlantique désor¬mais particulièrement préoccupée par l'affrontement direct, la montée du terrorisme de masse, qui appelle à l'intervention extérieure et à l'occupation militaire, alimentant de l'autre côté les sentiments de xénophobie et le rejet de l'autre avec le risque de nous entraîner réellement dans une guerre que cer¬tains qualifient de "guerre de civilisations" alors qu'il faudrait plutôt parler de "guerre de barbaries".


V. UNE AUTRE ISSUE EST-ELLE POSSIBLE ?

Il n'y a pas de doute que l'alliance euro-atlantique se trouve aujourd'hui à une croisée des chemins appelant à revoir ses stratégies politiques, économiques et culturelles à l'égard de l'ensemble du Sud. Les options ne sont pas nombreuses : ou on prend le choix de faire des pays du Sud des partenaires à part entière, ou on les abandonne et on en fait des zones de barbarie contre lesquelles il faut se battre sans arrêt. La ques-tion se pose d'une manière plus concrète aujourd'hui au Moyen-Orient : est-ce que les puissances occidentales veulent faire de cette région réellement une zone de paix et de coopération ou vont-elles continuer à n'y voir qu'un ennemi héréditaire infatigable et source de menaces incontournables inhérentes à sa culture, sa religion, sa pauvreté et son anarchie ? De la réponse à cette question dépendent les choix des nouvelles politiques euro-atlantiques : démocratisation ou reconduction des régimes de répression comme seule solution à l'aggrava¬tion des risques d'explosion ; aide au développement et à l'in¬tégration économique et technologique dans le circuit de la civilisation ou renforcement de la marginalisation ; reconnais¬sance de l'identité et de la validité de ses cultures ou condam¬nation et délégitimation au nom d'un universalisme confondu avec l'ethnocentrisme et l'autoglorification. La crise des rela¬tions arabo-euro-atlantiques soulève la question de savoir s'il faut continuer à voir dans l'Occident une île de plus en plus isolée et menacée qu'il faut à tout prix défendre contre l'océan de misère qui l'entoure ou considérer la prospérité de cette zone comme une chance pour établir des relations extérieures sur de nouvelles valeurs, celles de la solidarité, et promouvoir par là même un ordre international fondé sur la coopération, la paix, la sécurité et la prévention collective des risques d'ex¬clusion et d'explosion.
La démocratie dans les pays du Sud n'est pas une affaire de culture, ni même de pouvoir politique, elle est de plus en plus une question internationale fondamentale. Si aucun pays ne peut fonder sa démocratie seul, contre la volonté d'autres Etats ou sans leur solidarité, les grandes démocraties, établies depuis des siècles, peuvent être déstabilisées, voire menacées, par un contexte de désordre et d'insécurité global. Dans le monde arabe, plus particulièrement, la démocratisation est liée à trois conditions : la solution des conflits régionaux, l'in¬tégration économique et l'ouverture intellectuelle.
La solution des conflits, car rien de solide ni de durable ne peut se faire sur le plan politique et culturel comme sur le plan économique d'ailleurs sans l'établissement d'un état de paix au Proche-Orient et, donc, d'une solution conforme au droit international du conflit arabo-israélien dont le coeur est la question de l'occupation et de la colonisation des territoires palestiniens et le problème des réfugiés. Il ne s'agit pas seule-ment du sort de tout un peuple sacrifié par la communauté internationale depuis un siècle, mais de la crédibilité même des politiques de l'Europe et des Etats-Unis, et de la légitimité des gouvernements arabes.
L'intégration interrégionale des pays arabes et leur inser¬tion dans l'économie mondiale, car aucun de ces pays ne peut sortir de la crise par ses propres moyens. Seule une coopéra¬tion multilatérale, englobant les pays du Moyen-Orient, l'Europe, les Etats-Unis et le reste du monde industriel, permettrait de dégager les ressources nécessaires et de dépasser les tensions, les contradictions et les blocages pour sortir les économies arabes de leur anarchie, les désenclaver et les ouvrir aux nou-velles dynamiques d'accumulation et d'innovation. Sans un effort concerté du monde industriel dans ce sens aucun type de régime politique, autoritaire ou non, ne pourra survivre à la paupérisation et à l'aggravation inéluctable du chômage qui atteint déjà un niveau record avec plus de 20 millions de chô-meurs actuellement et plus de 80 millions dans les dix pro-chaines années si les conditions de la croissance restent inchangées.

Quant à la question de l'ouverture ou de l'émancipation intellectuelle, il est vrai que la longue période d'oppression, de frustration et de désespoir a favorisé l'émergence d'une culture négative fondée sur le repli sur soi et l'intolérance. La victoire du régime démocratique sur le régime despotique passe nécessairement par la promotion des valeurs universelles de citoyenneté, d'individualité, de liberté, de solidarité, d'égalité, de droit.
Mais quelle que soit la situation, il n'y a pas de doute que le Moyen-Orient ne peut accéder à la démocratie contre la volonté de l'Europe et de l'Amérique qui ont favorisé, depuis plus de soixante ans, selon les termes mêmes du président Bush 6, les régimes despotiques. De même, il ne peut y accéder en comp¬tant uniquement sur l'engagement et le soutien extérieurs. Là aussi la convergence d'intérêts est la condition de tout pro-grès. Je ne suis pas encore sûr que les gouvernements du Nord soient convaincus, malgré des déclarations répétées ces der¬nières années, que le Moyen-Orient est prêt à la démocratisa¬tion ou même que cette démocratisation sert aujourd'hui leurs intérêts. Les idées reçues sur la culture arabo-musulmane, l'importance des intérêts en jeux, stratégiques, économiques, la crainte de voir la démocratie récupérée par certains mou¬vements intégristes ou nationalistes anti-occidentaux rendent les Euro-Atlantiques sceptiques quant aux chances de la démo¬cratie de s'instaurer durablement dans la région. Or aucune solution à la crise du Moyen-Orient n'aura de résultats si elle ne parvient pas à avancer parallèlement sur les trois axes de la paix, du développement et de la démocratisation.
L'initiative du G8 reflète une prise de conscience des risques encourus par le maintien d'un réservoir inépuisable de ressentiment et de violence dans le Moyen-Orient. Mais s'il ne s'agit là que d'une tactique visant à gagner du temps et à aider la stratégie sécuritaire à neutraliser les mouvements ter-roristes ou même les résistances nationalistes, l'impact sera plus négatif encore que celui des politiques sécuritaires passées. En effet, si des mesures urgentes ne sont pas prises dans les deux prochaines années pour débloquer la situation sur les plans politique, économique et culturel, et pour consolider la confiance et recréer l'espoir, il faut s'attendre à l'implosion dans quelques années d'une région s'étendant de l'Atlantique au golfe Arabo-Persique avec plus de trois cents millions d'indi¬vidus dont le tiers vit en dessous du seuil de pauvreté.
Dès maintenant, les auteurs de l'initiative devraient faire des propositions aux gouvernements du Moyen-Orient pour les inciter à aller dans le sens des réformes ou pour les accélé¬rer. Sur le plan politique, des forums de débats entre toutes les parties concernées, associant la société civile et l'oppo¬sition, pourraient être organisés au sein de chaque pays du Moyen-Orient pour revenir au dialogue politique et aban¬donner le recours à la répression. Les initiateurs des réformes peuvent également apporter leur soutien aux gouvernements qui prennent des initiatives courageuses et fixent un agenda pour un passage pacifique vers un nouvel ordre social et poli-tique fondé sur les principes de la représentation, de la parti¬cipation et de l'égalité en droit.
Sur le plan du développement, l'Europe et les Etats-Unis peuvent aider largement à la sortie de la crise s'ils décidaient de substituer la logique du partenariat à la logique du contain-ment et de la marginalisation. Le développement du monde arabe ne représente aucune menace pour le Nord, mais garan-tit au contraire son engagement dans la voie de la paix et de la coopération. L'intégration économique régionale est cepen¬dant incontournable dans tout projet de relance de la crois¬sance. Elle est également indispensable pour que l'économie nouvelle puisse avoir ses dynamiques internes dans un marché propre, et ne reste pas un appendice de l'économie mondiale, profitant à une minorité restreinte.

L'échec de la recherche d'une solution négociée et juste en Palestine comme l'occupation unilatérale de l'Irak par les troupes de la coalition en 2003 ont réduit considérablement la crédibilité de la politique euro-atlantique au Moyen-Orient. Aucun projet de sécurisation de cette région ne sera possible avant de surmonter cet échec. La complaisance euro-atlantique à l'égard de la politique expansionniste et ouvertement colo¬niale d'Israël rend toute tentative de mettre un terme à la course aux armements, y compris stratégiques, impossible et mal per¬çue par les peuples de la région. Une initiative euro-atlantique fondée sur l'engagement solennel pour la garantie de la sou¬veraineté et de l'indépendance de tous les Etats de la région, y compris de la Palestine, l'élimination de toutes les armes de destruction massive, le rejet de l'annexion des territoires ou le changement des frontières par la force, revêt aujourd'hui un intérêt particulier pour réduire la tension et inciter les Etats fragilisés à entrer dans un système de sécurité collective auquel les Nations unies peuvent s'associer. Une conférence interna¬tionale pour la paix, la sécurité et la coopération au Moyen-Orient, où seront posés tous les problèmes, y compris, mais non exclusivement, la lutte contre le terrorisme, peut ouvrir des perspectives nouvelles et rendre l'espoir aux peuples de cette région sinistrée.

 

 

 

 

1- Adrian Karatnycky, "The 2001 Freedom House Survey, Muslim Countries and the Democracy Gap", journal of Democracy, n° 13 (janvier 2002), p. 101.
2- C'est ce que Bernard Lewis suggère en montrant les difficultés que les sociétés arabes ont éprouvées dans l'adhésion aux valeurs de la modernité qui incarnent la victoire de l'Occident, qui explique le repli arabe sur soi comme la diabolisation de l'Occident : cf. Que s'est-il passé ?, Gallimard, 2001. Voir également, du même auteur : The Crisis of Islam : Holy War and Unholy Terray; The Modern Library, New York, 2003.

3- Alfred Stepan et Graeme B. Robertson défendent une thèse plus modé¬rée insistant plutôt sur la culture des élites : cf. "An `Arab' More than `Mus¬lim' Democracy Gap", Journal of Democracy, n° 14, juillet 2003. Voir également Alfred Stepan, "The World's Religions Systems and Democracy : Crafting the `Twin Tolerations' ", in Arguing Comparative Politics, Oxford University Press, Oxford, 2001, p. 213-254, en particulier p. 233-246.
4- Voir Burhan Ghalioun, "Pensée politique et sécularisation en pays d'is¬lam", in L'Islamisme, La Découverte, Paris, 1994 ; Le Malaise arabe. L'Etat contre la nation, La Découverte, Paris, 1991.
5- Cf. Burhan Ghalioun, Islam et politique : la modernité trahie, La Découverte, Paris, 1997 ; voir également "Les destinées tragiques de la démocratie dans e monde arabe", in Confluences Méditerranée, Paris, 2004.
6- Allocution prononcée à la bibliothèque du Congrès le 5 février 2004.