Gouvernance et réformes en Syrie

2006-06-03::

 

Introduction

Les systèmes sociaux ne sont pas figés. Ils ont, tous, leurs dynamiques propres. Ils sont sujet à l’évolution et au changement dans un perpétuel mouvement interne de classement, reclassement, inclusion, exclusion, régulation ou dérégulation, coalition et séparation, mettant en jeux des multiples acteurs et groupes en compétition.
Ainsi, l’institution des règles plus ou moins stables est dans toutes les sociétés, l’objet de confrontations et de négociations interminables entre ces différents acteurs, opposant des stratégies sociales plus ou moins élaborées, ou recherchant des intérêts convergents. Institutionnalisation et dé-institutionnalisation vont souvent ensemble, et les règles de jeux annoncées dans les textes officiels ne sont pas toujours les règles appliquées dans la réalité.

Les bases du système de gouvernement et de gestion des affaires publiques, en vigueur en Syrie depuis les années 63, ont été jetées par le coup d’Etat militaire du 8 mars 1963. Elles ont évolué en fonction des multiples et interminables conflits qui ont opposé le nouveau pouvoir ba’thiste aux groupes nassériens et libéraux concurrents dans une première phase, et, les fractions ba’thistes entre elles dans la phase suivante. Les nouvelles institutions que la Syrie a connu depuis, répondent aux besoins de cette élite hétéroclite, issue en grande partie des milieux ruraux, et très peu familiarisée avec les affaires du pouvoir, d’imposer sa volonté, de consolider ses positions, d’étendre son influence, voire d’investir la sphère de l’Etat et des organisations de la société civile dont elle a été longuement exclue. Arrivée au pouvoir dans un contexte particulier marqué par l’effondrement de l’élite traditionnelle qui a hérité du pouvoir colonial, le véritable problème qu’a eu cette nouvelle élite minoritaire à résoudre est de se maintenir au pouvoir face à une opinion publique majoritairement hostile.
Tout un système de coercition a été construit pour pouvoir imposer à la population un régime qui n’a pas choisi, de l’occupation physique de l’espace public jusqu’à l’incorporation dans la Constitution en vigueur depuis 1973 de l’article 8 qui désigne le parti Ba’th comme leader incontesté de l’Etat et de la société. De cette façon on a instauré la tutelle définitive du parti unique et on fait de l’Etat légalement l’instrument de domination d’un groupe politique sur tous les autres.
Le défi a été d’inscrire dans la durée un coup de force qui est par définition éphémère. Tout l’édifice constitutionnel, politique, économique, juridique, informationnel, culturel et éducatif a été bâti dans le but de réaliser cet objectif, c’est-à-dire pour faire d’un équilibre précaire, un système politique durable et de transformer la victoire militaire en un consentement populaire. Le situation socio-économique que connaît le pays aujourd’hui est le résultat direct des choix politiques visant à faire durer ce système contre toutes les pressions internes et externes : un développement inégal des secteurs de l’économie et de la société en faveur des forces sécuritaires et militaires hypertrophiées, des réseaux d’intérêts clientélistes, une absence quasi générale des libertés politiques et civiles, une détérioration continue des conditions de vie économiques et sociales de la majorité écrasante de la population, l’extension du chômage, la paupérisation, la stagnation économique , la corruption et la dégradation morale .
Certes, la mise en place de cet édifice n’est pas étrangère au contexte historique des années 1960, marqué par la guerre froide et l’engouement de toutes les sociétés ex-colonisées pour les idéologies du progrès. Ainsi, au nom de la révolution socialiste, de la lutte contre l’exploitation et de l’injustice, le pouvoir légitime sa main mise sur les ressources de la société et justifie la suppression de la vie politique et intellectuelle . Et, grâce à l’appui soviétique et à la solidarité contre l’impérialisme et le colonialisme, il parvient à surmonter ses handicapes d’origine et à dépasser son isolement politique à l’intérieur du pays.

Mais, c’est sans doute au président défunt Hafez al Assad que revient le mérite d’avoir inventé le modèle d’une gouvernance qui reste pour l’essentiel pratiquement inchangé jusqu’à nos jours. Maître du jeu dès la fin des années 60, le mouvement, dit de Redressement, qu’il conduit après la défaite de juin 1967 face à Israël, met un terme définitif aux luttes intestines qui ont miné le régime ba’thiste jusque là, et ouvre ainsi un nouveau chapitre de l’histoire de la Syrie postcoloniale.
Le véritable génie de H. al Assad n’a pas été, d’avoir su imposer à toutes les factions d’une élite hétéroclite et chaotique un semblant d’unité , mais, plus, d’avoir compris, mieux que tous les autres dirigeants du parti Ba’th, la nécessité de doter le système, maintenu jusqu’à là par la force brute, d’une base institutionnelle devenue indispensable pour sa stabilisation.
Ainsi, dès son accession officielle au poste de président de la République (référendum de 12 mars 1971), Hafez al Assad entame des grandes réformes politiques et juridiques qui marquent le pays jusqu’aujourd’hui. Il réorganise le parti Ba’th dont il devient le chef incontesté (5° Congrès national 8-14 mai 1971), négocie avec les formations politiques qui acceptent de coopérer avec le Ba’th la charte d’une coalition. Le Front National Progressiste (FNP) qu’il vient de créer donne à son régime une façade de pluralisme précieuse sans être obligé de rien céder sur la question de partage du pouvoir (le 7 mars 1972). Nommé chef du FNP, il conserve à son parti Ba’th le rôle de leadership et le monopole de l’activité politique au sein de l’armée, des écoles et de l’université. Les nouveaux alliés n’ont le droit ni à une légalisation en bonne et du forme ni à des organes de presse propres. Le 13 mars 1972, il crée les Conseils locaux qui viennent remplacer les anciens conseils municipaux et fait organiser les premières élections locales pour la formation de ces conseils . Sur le plan de la politique régionale, abandonnant les positions radicales de ses prédécesseurs, il se rapproche de ses voisins arabes et favorise la constitution de l’axe informel Damas-Riyadh-Le Caire, qui commandera à la politique arabe du Machrek jusqu’à la conclusion des Accords de Camp David en 1979 entre l’Egypte et Israël. Enfin, sur le plan économique, s’inspirant du modèle soviétique, il crée un ensemble d’organismes de production et de distribution qui aident à restructurer le secteur public.
Mais c’est surtout la nomination de 173 personnalités choisies par le Commandement national du parti Ba’th, réunies en Assemblée (Conseil du Peuple) pour la rédaction de la Constitution définitive, qui constitue l’œuvre majeure de son premier mandat.
Avec la nouvelle Constitution, adoptée par référendum le 12 mars 1973, le régime du Ba’th achève son évolution institutionnelle. Parallèlement au système des lois d’exception hérité des premiers jours du coup d’état et maintenu en vigueur pour réprimer toutes activités concurrentes à caractère politique ou idéologique, il dispose désormais d’un ensemble de lois nécessaires pour le fonctionnement ordinaire de l’Etat. Dans ce double système d’institution qui consacre la tutelle définitive et durable du parti Ba’th sur les destinées du pays, le rôle du président de la République est primordial. Toutes les institutions tournent pratiquement autour de lui. Avec ces réalisations politiques et juridiques nouvelles, H. al Assad confirme son entrée triomphale sur la scène politique d’une Syrie déchirée, démoralisée à la recherche d’une identité et d’une voie. Il ne tarde pas de s’imposer comme l’homme providentiel, le juge et l’arbitre, dans une société traumatisée et malmenée par sept années de d’instabilité, de conflits internes et externes et de chaos.

 

 

1. Le gouvernement : un dédoublement du système

Dès son préambule la Constitution syrienne affirme la tutelle générale du parti Ba’th sur l’Etat et assure la fusion de ces deux institutions. Selon l’article 8 de la constitution du 1973, la Syrie est une démocratie populaire dirigée par le parti Ba’th aidé par les autres organisations membres du Front national progressiste. Toutes les politiques suivies, dans le domaine économique, juridique et législatif doivent assurer la victoire de la révolution c’est-à-dire le remplacement, dans tous les rouages de l’Etat et de l’administration, d’une élite libérale vaincue par une élite nouvelle représentant d’autres classes et valeurs sociales et politiques .
Comme dans toutes les « démocraties populaires », la Constitution syrienne souligne le rôle déterminant du parti unique d’avant-garde et minimise le rôle des règles institutionnelles. Elle favorise, autant que possible, l’unification de tous les pouvoir afin de permettre aux décideurs d’opérer les changements voulus de la façon la plus rapide et radicale.
Pendant les premières années du gouvernement ba’thiste, c’est le « Conseil de Commandement de la Révolution » qui incarne, depuis le 8 mars 1963, cette unification. Mais la suppression de cette institution au début de 70 a posé le problème de l’adaptation du pouvoir révolutionnaire arbitraire aux normes de la vie institutionnelle. La solution a été trouvée dans la préservation d’une double institution, l’une étatique formelle, l’autre partisane prédominante. Ainsi, se sont maintenues d’une part les institutions héritées du coup d’état (la loi martiale, la Direction de la Sûreté de l’Etat, la Cour de la Sûreté de l’Etat), auxquelles s’ajoutera le (qâïd) ou Président-guide élevé au-dessus de l’Etat et de la société ; D’autre part les nouvelles institutions (la Constitution, le Conseil du peuple, la Haute Cour constitutionnelle, le FNP, les Conseils locaux).
En effet, pour rendre permanent un coup d’Etat fait par définition de la suspension de la Constitution et la gestion des la société par des ordres militaires, il n’y avait pas d’autre solution que de maintenir deux systèmes d’institutions superposés. C’est cette solution qui a été retenue et qui a jeté la base de la personnalisation du pouvoir ; Car, seul le président de la république est à même d’assurer le lien entre les deux types d’institutions et par conséquent l’unité du système.
De ce fait, la Constitution, adoptée par référendum en mars 1973, va au-delà de l’établissement d’un régime présidentiel, pour faire du président le pivot de l’ensemble de l’édifice et la référence de toutes ses institutions . Elle lui confie des pouvoirs étendus l’habilitant à se substituer, selon plusieurs articles, le cas échéant, à tous les pouvoirs. Chef de l'ةtat, il est aussi secrétaire général du parti et commandant suprême des forces armées. Il désigne le (ou les) vice-président(s) de la République , le président et les vice-présidents du Conseil, et enfin les membres du gouvernement. Il est chef du Front national progressiste qui assure, avec le parti Ba’th cette direction. Il est le président du Haut Conseil de la Justice et le gouverneur de l’état d’urgence dont la proclamation est l’une de ses prérogatives (article 101).
Le président, élu pour sept ans au suffrage universel, peut dissoudre le Conseil du peuple par un décret motivé, proposer des projets de lois au parlement, faire amender les projets de lois ou de les faire voter. Il a l’habilité de se substituer à ce dernier durant les périodes de vacances parlementaires, mais également pendant les sessions du parlement lorsque la situation l’exigeait. Dans ce cas les décrets présidentiels ont la force de loi. Ils sont définitifs et exécutoires, dès leur promulgation par le président, sans retour au parlement (articles 110,111). Il peut, également, selon l’article 112 faire recours, lorsqu’il le juge nécessaire, aux référendums populaires pour faire valoir son avis concernant toutes les questions « liées aux grands intérêts du pays». L’article 113 renforce ses prérogatives en donnant mandat au président de la république « pour prendre toutes les mesures exceptionnelles appropriées » « dans le cas de graves dangers menaçants l’unité nationale, la sécurité et l’indépendance du territoire national ou empêchant le gouvernement d’exercer ses prérogatives constitutionnelles».
C’est au parti Ba’th de proposer le nom du candidat présidentiel au parlement qui se charge de préparer les conditions de son élection grâce à un référendum populaire . Le cabinet ministériel est, collectivement et individuellement, responsable, directement, devant le Président qui se charge de la définition de sa politique et l’orientation de son action (article 94). Ce dernier ne pourra être démis de ses fonctions que s’il était accusé de grande trahison. Dans ce cas, la demande doit être signée d’un tiers des membres du Conseil du peuple, appuyé par les deux tiers des députés et votée dans une cession spéciale et secrète. Il ne sera traduit en justice que par la Haute Cour constitutionnelle dont il est le président.
Dans l’esprit du système tel qu’incarne la Constitution de 1973, toutes les institutions : Le parlement, comme le gouvernement, le parti Ba’th, l’administration, l’armée et la justice ne sont en réalité que des instruments qu’utilise le Président pour réaliser ses objectifs.

Le pouvoir législatif est incarné, Selon l’article 51 de la constitution de 1973, par une chambre (Conseil du peuple) composée de 250 députés élus au suffrage populaire pour un mandat de 4 ans. Il est précisé qu’une partie des sièges (51%) est occupée par des représentants des travailleurs et paysans, l’autre partie par les représentants des commerçants, artisans et intellectuels. Tous les Syriens de 18 ans et plus, sans distinction d’origine et de sexe sont, en principe, invités à y participer.
Le rôle du parlement est d’aider le président à assumer ses taches. Il a pour mission de proposer les projets de loi, d’interroger le gouvernement ou l’un de ses membres (art.71) sur sa politique, de présenter des motions de censure ainsi que de recommander au peuple le candidat présidentiel choisi par le parti Ba’th.
Dans la pratique, le Conseil du peuple syrien dominé totalement par des membres du parti au pouvoir s’est montré souvent très docile. Il a rarement osé débattre des questions qui préoccupent les populations ou qui constituent un sujet de débat . Même si certains députés commencent aujourd’hui, sous la pression du pouvoir exécutif qui veut montrer sa volonté de réformes, commencent parfois à prendre l’initiative d’interroger les membres du gouvernement, ils n’ont aucun possibilité d’opposer une motion de censure. Une telle action serait mal vue, aussi bien par le Président qui est le responsable de la formation du gouvernement que par le Ba’th qui le soutient. Une telle motion aurait été perçue comme un acte de défiance à l’égard du régime et très vite réprimée.
En tout état de cause, compte tenu du mode de désignation des députés, leur état d’esprit, leur culture politique, et surtout leur composition corporatiste, le parlement ne pouvait jouer un grand rôle dans la législation syrienne . C’est le Président qui définit la politique du pays et la fait valider au Parlement par l’intermédiaire du Commandement national du parti Ba’th se présentant comme l’organe de coordination entre l’Etat et les véritables centres de pouvoir : militaire, sécuritaire, politique, économique et administratif dans le système.

C’est peut-être le système juridique qui incarne le mieux la double nature du système syrien de gouvernement. Il se compose, tout d’abord, du Haut Conseil de la justice, responsable de la nomination, mutation et démission des juges, la Cour constitutionnelle qui juge de la constitutionnalité des décrets et réglementations et de la Cour de cassation, qui est la plus haute cour d’appel, chargée de la résolution des conflits juridiques et jurisprudentiels . Viennent ensuite au-dessous les cours d’appel, les tribunaux de première instance, le Tribunal d’enfants ainsi que les tribunaux administratifs coiffés par le Conseil d’Etat.
Dans la constitution en vigueur, l’article 131 stipule que l’indépendance de la justice est garantie par le président de la République en sa qualité de président du Haut Conseil de la justice. L’’article 133 affirme que les juges sont indépendants et ne se soumettent à aucune autre autorité que la Loi. Mais il n’y a aucune mention de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Et, alors que l’article 132, donne au président de la République la présidence du Haut Conseil de la Justice, ce dernier est composé de sept membres dont trois seulement sont des juges tandis que quatre sont dépendants du pouvoir exécutif .

Mais, en dehors de cette institution judiciaire légale, et parallèlement à elle se trouve la juridiction d’exception qui issue de la loi martiale et de l’état d’urgence en vigueur dans le pays depuis 1963 . Elle groupe la Cour de la Sûreté de l’Etat, les Tribunaux militaires (Crées par la loi de la protection de la révolution n° 6 de 17.1.1965), la Cour de Sûreté économique. Cette juridiction politique a la faculté de se substituer au système juridique ordinaire dans tous les domaines de l’activité sociale, selon l’appréciation discrétionnaire du seul pouvoir exécutif .
Instituée par le décret n° 47 du 28.3.1968 et placée sous l’autorité du président de la République en sa qualité de gouverneur de l’état d’urgence, la Cour de la Sûreté de l’Etat a toujours été présidée par un éminent membre du parti Ba’th. Elle est compétente pour juger des crimes liés « aux activités considérées comme contraires à l’application du régime socialiste, qu’elles soient pratiquées par les actes, la parole, l’écrit ou par n’importe quel autre moyen d’expression ou de publication », aux crimes concernant « l’opposition à la réalisation de l’union entre les pays arabes ou à tout autre objectif de la révolution ou à toute tentative de l’entraver que ce soit par les manifestations, l’attroupement, le désordre, l’agitation ou par la diffusion des fausses informations visant à ébranler la confiance des masses dans les objectifs de la révolution». Le flou qui caractérise la définition de ses compétences permet le transfert d’affaires pénales vers les juridictions d’exception en même temps qu’il confère une forme légale à la répression d’activités qui ne sont pas nécessairement politiques. Pour ce faire, la Cour de Sûreté de l’Etat n’est pas astreinte au respect de la procédure pénale et n’accepte ni de se référer au droit pénal ou d’entendre des avocats . Aussi, ses verdicts sont-ils définitifs et irrévocables, sauf par le président de la république du fait qu’il doit les signer. La cour de sûreté de l’Etat a joué un rôle majeur dans la répression des activistes des forums civils et des intellectuels liés à la vague de revendications démocratiques qui a occupé la première année du règne du Président Bachar al Assad. Des peines d’emprisonnement, avec suppression des droits civiques et politiques, allant de deux ans et demi (Riad al Turk premier, secrétaire du parti communiste syrien bureau politique ) jusqu’à dix ans (Aref Dalila, ex-doyen de la faculté d’économie de Damas.
La cour de sûreté économique, créé en 1977 pour juger des crimes économiques introduits dans la législation par la loi promulguée par le décret législatif n°37 du 16 avril 1966, a pour compétence de réprimer tous les actes ou les paroles qui peuvent constituer une forme de résistance aux politiques économiques ou des « obstacles au développement de l’économie socialiste. Elle réunit des magistrats aux fonctionnaires du ministère de l’économie. Elle aurait été créée pour assurer le contrôle par le régime du Ba’th des entrepreneurs bénéficiant de la politique de libéralisation économique de 1991. Fondée à un moment où le pouvoir « menait une vaste campagne anti-corruption dans l’appareil d’Etat, la cour de sûreté économique conserve également une vocation démonstrative et ses verdicts doivent illustrer la rigueur et la probité du régime » . Responsable de la condamnation de dizaines de personnes ainsi que la diffusion du sentiment d'insécurité au sein de la communauté syrienne des affaires, cette cour a été supprimée par décret en 2004.
L’assujettissement direct du droit aux objectifs de domination politique a eu des conséquences néfastes sur la profession de juge et d’avocat comme sur les pratiques judiciaires. Celles-ci apparaissent indirectement à travers la dégradation des conditions de travail et de promotion, avec la fonctionnarisation et la dévaluation du statut et du salaire des juges, l’absence d’école de magistrature et le caractère politique du recrutement, ont fragilisé la position des magistrats. Elles deviennent plus évidentes avec la dissolution, à partir de 1980, de l’ordre des avocats et l’abolition de l’autonomie des barreaux de Syrie, ce qui permet au pouvoir politique de contrôler étroitement la profession et de réduire au minimum l’autonomie des magistrats .
Comme dans tous les domaines des services civils, la justice syrienne actuelle connaît de multiples carences : retard dans les procès, engorgement des tribunaux, archaïsme de la législation dans certains domaines etc. Mais c’est sans doute la corruption impliquant le personnel de justice, les avocats et les parties, qui atteste, le plus, de la dégradation du système judiciaire et pousse de larges pans de la population à faire appel au droit coutumier de la conciliation sociale pour se préserver de l’arbitraire de l’institution . En effet, selon des témoins confirmés, la moitié des différends est aujourd’hui réglée à l’amiable par les avocats eux-mêmes, à la demande des parties, avant d’être portée devant les tribunaux. Mais, en dehors des cas où les avocats jouent le rôle de juge-médiateurs, il faut souligner le recours croissant de larges secteurs de l’opinion à l’arbitrage des dignitaires religieux ou/et claniques.

L’absence d’une justice indépendante et la prédominance de la juridiction d’exception ont favorisé l’autonomisation du gouvernement comme l’ensemble de l’élite politique. Nommés par décision politique et protégés contre toute poursuite judiciaire éventuelle , les membres du cabinet comme les autres hauts responsables de l’Etat, se sentent libres de tout engagement envers la population. Ils tendent très vite à confondre intérêts privés et intérêts publics. Restée relativement limitée jusqu’aux années 1970, l’association entre les charges publiques et la recherche de profits commerciaux se banalise après 1973. Aucun marché d’Etat ne pouvait être conclu, de quelques valeurs que ce soit, sans que des hauts responsables politiques aient leurs parts réservées. Un partenariat réel s’est constituée entre les hommes d’affaires et les dignitaires politico-militaires du régime que protègent et nourrissent des réseaux clientélistes très influents. C’est souvent en fonction de l’importance des commissions occultes que les projets économiques sont sélectionnés et non pas pour leur intérêt économique ou utilité sociale . La situation a été considérée suffisamment inquiétante en 1976 pour que le Président de la République éprouve le besoin de nommer en août un général de l’armée connu par son intégrité morale, M. A. Khlifaoui au poste de Premier ministre avec pour principale mission de combattre la corruption. Mais le « Comité d’enquête sur les gains illicites » créé l’année suivante n’a pu faire son travail à cause des rangs élevés des personnes impliquées et le gouvernement Khlifaoui a été obligé de quitter la scène sans pouvoir rien faire .

Depuis les années 1970, la lutte contre la dérive morale des responsables politiques est devenue un leitmotiv de la vie publique syrienne. Elle est à l’origine des multiples campagnes interminables, jamais achevées, d’épuration. La dernière en date remonte au début des années 2000, dans le sillage de l’installation du nouveau président de la République. Elle a entraîné l’arrestation de plusieurs ministres et la mort suicidaire de l’Ex Premier-ministre M. Mahmoud al Zu'bi.


L’alternance au pouvoir

Mais, au-delà de ces carences du système juridique, c’est la formation d’une élite consacrée et protégée contre toute compétition ou alternance qui constitue la principale cause de la corruption. Car, assurés de se maintenir dans leurs fonctions contre tout risque de changement ou de compétition, les membres du personnel de l’Etat finissent par s’identifier à leurs titres et à se comportent dans les domaines de leur responsabilité comme dans une propriété privée. En effet, comme tous les systèmes du parti unique, le système ba’thiste ne reconnaît pas le principe d’alternance, puisqu’il est par le terme de la Constitution «le dirigeant de l’Etat et de la société» (article 8). Au-delà du pouvoir de l’Etat, sa mission s’étend à la société dont il se charge d’encadrer les masses et orienter la marche.
La prise de conscience, tout récemment, de l’ampleur de la sclérose des cadres politiques et administratifs de l’Etat a obligé les nouveaux dirigeants à reposer la question du « roulement » des élites. Mais, pour préserver le monopole du Ba’th sur les postes officiels, ils ont choisi de favoriser la promotion des jeunes ba’thistes au lieu de modifier les règles partisanes de recrutement. Ainsi, ils ont repensé l’alternance en termes de renouvellement des générations en mettant un terme à la pratique, très étendue jusqu’alors, du maintien en poste des cadres au-delà de l’âge de la retraite. Le résultat n’a pas été probant, car les nouveaux cadres, avec la même culture politique et règles du jeu, ont été plus vite que leur aînés à entrer dans le jeu de la corruption.
La rigidité du système et la peur de l’instabilité incitent les décideurs à ne prendre aucun risque. Le modèle classique de mobilisation des masses est, sans doute, plus sécurisant. Il assure le bon encadrement des populations grâce à des «organisations populaires» tenues par le parti unique et un meilleur respect des hiérarchies établies.
En effet, comme dans tous les régimes à la soviétique, tout système bureaucratique tend à rendre le personnel et les fonctions immuables. A moins qu’ils ne tombent en disgrâce, les hommes peuvent être sûrs d’occuper leurs postes jusqu’à la fin de leurs jours. Ainsi, pratiquement, tous les cadres qui ont soutenu le président al Assad dans sa marche vers le pouvoir (installation officielle le 13 mars 1971), sont restées jusqu’à sa disparition, même si certains ont changé entre temps de fonction : Les membres du Commandement national et régional du parti Ba’th, les hauts dignitaires de l’armée et des services de sécurité, les principaux ministres dit de souveraineté, le chef du parlement et la plupart des députés, les gouverneurs des provinces, les représentants des partis alliés au sein du FNP.
Grâce à cette conception très mécanique de la continuité-stabilité, principale devise du régime, le nouveau président Bachar al Assad a pu succéder, dans l’ordre, à son père, et le président du Conseil du peuple n’a éprouvé aucune difficulté à faire voter, à l’unanimité des députés, un amendement de la constitution réduisant l’âge du candidat de la République de 40 à 34 ans pour permettre au jeune président de succéder à son père venant de décéder. Mais, au-delà de cet exploit politique, la succession des enfants ou d’autres membres de la famille, à leurs parents, dans l’occupation des fonctions publiques, semble bien entrer dans les mœurs en Syrie. Elle ne suscite plus aucune réprobation. Ainsi, la plupart des responsables des formations politiques alliées au régime n’ont pas hésité à se faire remplacer par leurs proches, enfants ou épouses, dans les postes, de ministres, de députés ou même de chefs de partis politiques, qu’ils occupaient au terme de leur alliance avec le Ba’th au pouvoir. La reconduction des hommes dans leurs postes finit par devenir un synonyme d’ordre et de stabilité. Elle renforce le régime de cooptation en vigueur pour les postes publics et aide à faire l’économie des procédures politiques formelles risquées. C’est ainsi que le parti Ba’th, alors au pouvoir depuis mars 1963, n’avait pas éprouvé le besoin de réunir son Congrès ordinaire et de renouveler ses instances dirigeantes depuis le 20 janvier 1985 jusqu’à la succession de Bachar al Assad à son père aux deux hauts postes de Président et de Secrétaire général du parti Ba’th.

 


2. L’administration : le système de cooptation

Le régime de cooptation pour la désignation des occupants des postes de responsabilité dans l’Etat, le parti dirigeant, les organisations populaires et l’administration, favorise la constitution d’un système de hiérarchie fondé sur les liens de dépendance personnelle, réduisant considérablement l’obligation qu’ont les responsables de rendre compte de leurs actions. Ainsi, le président de la République, soutenu par ses proches collaborateurs politiques et sécuritaro-militaires, nomme les hauts responsables dans tous les domaines de l’administration politique, militaire et civile. Ceux-ci nomment à leur tour leurs subalternes, et ainsi de suite à tous les échelons. Chacun appelle son supérieur mu’alem (Maître), alors que le chef de l’Etat est désigné courant des milieux politiques et administratifs le Grand maître.
Etant donné que la cooptation se fait en terme de loyauté au chef et non des qualités professionnelles des candidats, ni le recruteur ni le recruté n’ont intérêt à poser trop de questions sur la compétence des recrutés. L’occupation des postes publics n’est perçu que très rarement par les concernés comme une charge mais, plutôt, comme une récompense pour ceux qui ont fait le bon choix politique. Elle n’implique pas nécessairement l’accomplissement des tâches précises liées à un processus de production et de reproduction, mais elle est synonyme plutôt de participation à une éternelle campagne publique de promotion et d’exaltation du régime et de son chef. A la limite, ce n’est pas aux occupants des postes publics de rendre compte de leur travail à leurs supérieurs ou au public, mais c’est à ces derniers de les satisfaire pour préserver leur loyauté. Ainsi, l’obligé devient en réalité très vite obligeant
Le mode de recrutement par cooptation, politique (les membres du parti au pouvoir) ou clanique (les proches), élimine dès le départ les candidats les mieux qualifiés. Visant à construire et maintenir des réseaux de pouvoir et engendrant nécessairement des réseaux d’intérêts concurrentiels, il favorise nécessairement ceux qui semblent plus disposés à louer leurs services politiques contre un maximum d’avantages matériels. Les chefs des réseaux, agissant toujours et partout en prédateurs, sont beaucoup moins préoccupés par la logique globale du système que par le perfectionnement des techniques leur permettant d’extorquer le maximum d’avantages. Ni les uns ni les autres n’ont intérêt à dénoncer la carence professionnelle. Ici comme dans toutes les pratiques concurrentielles, c’est la loi du silence qui protège.
Avec le temps qui passe, les avantages accumulés deviennent des acquis que personne ne peut contester, y compris les chefs qui les ont attribués. Avec la dégradation du système et la raréfaction des ressources, la notion même de responsabilité publique tend à disparaître. Il ne reste sur place que des hommes engagés dans une lutte à mort pour assurer leur place et défendre leurs intérêts.
Selon le système politique fondé sur l’allégeance aux chefs la règle du droit est absente et la société se divise automatiquement en deux sphères : la sphère des inclus et celle des exclus. Pour les premiers tout est droit, tandis que pour les seconds tout est « makroma » ou geste de générosité de la part des dirigeants, y compris l’application partielle de la loi lorsqu’elle est respectée.
Cette règle est valable autant pour les individus que pour les organisations. Ainsi, le Ba’th qui s’approprie littéralement les ressources publiques : militaire, politique, juridique, médiatique, administrative, financière et autres, interdit aux autres organisations de tenir des réunions même dans les salons privés, quand elles ne sont pas simplement interdites . Plus de cinq ans après l’ouverture politique proclamée par le nouveau jeune président, B. al Assad, les partis de l’opposition comme les associations civiles restent privé de tout statut légal tandis que leurs militants sont continuellement arrêtés et intimidés par les forces des sécurités.
Le résultat de ce dispositif a été, d’évidence, la suppression du champ politique (acteurs, activités, règles et espaces) pour imposer à la société une mode de gestion corporatiste qui ne comprend aucun risque, car il n’a besoin ni de multipartisme, ni de compétition entre les élites, ni de pactes sociaux. Elle n’a même pas besoin de leaders dans le sens politique classique du terme. C’est une gestion administrative. Les catégories sociales et professionnelles sont systématiquement regroupées, de gré ou de force, dans des organisations officielles, contrôlées par les appareils politiques et sécuritaires et commandés par une « chefferie » qui constitue elle-même une corporation supérieure, « la mère des corporations ». Les responsables désignés sont, eux-mêmes, des fonctionnaires. Ils n’ont rien de politique. On ne leur demande ni de penser à des choix et orientations, ni d’élaborer des plans, ni de décider, mais simplement d’exécuter des ordres qui viennent d’un haut qu’on évite souvent de nommer. Mais, même au plus haut niveau de l’échelle, il n’y a pas vraiment de prise de décision, dans le sens de la mise en œuvre de procédures formelles avec des règles claires pour l’élaboration des choix politiques à partir d’un effort collectif de réflexion, de confrontations des possibilités, d’analyse objective des situations et d’évaluation des risques, d’orientations globales ou d’une vision d’ensemble. Les décisions sont prises soit par passion subjective soit en réaction aux événements .
La gestion administrative est par définition apolitique. Il n’a pas besoin d’échange et de communication ni entre la base et le sommet de l’Etat, ni entre l’Etat et l’opinion publique. Elle se fonde sur la reproduction des modèles connus et éprouvés et, par conséquent immuables. Elle ne nécessite pas le développement d’une législature vivante et dynamique, mais dépend directement des procédures sommaires de promulgation de décrets . Se situant en dehors du temps et de la société, elle favorise la sacralisation de l’ordre et appelle à l’intervention de l’homme providentiel, chef charismatique divinisé et génie inspiré.

Il est normal dans ces conditions que le rôle du parlement, comme toutes les autres institutions législatives, reste limité à la mise en scène symbolique d’une participation populaire, et que les parlementaires ne trouvent aucun intérêt à débattre effectivement des choix et décisions prises à leur insu et contre lesquels ils ne peuvent, de toutes les façons, rien faire. Ceux qui ont pensé le contraire, comme les deux députés indépendants de Damas, Riad Seif et Mamoun al Houmsi, ont payé cher leur erreur .

 


3. Une société civile muselée

Le régime qui a été fondé par Hafez al Assad et renouvelé par son fils Bachar al Assad appartient à cette catégorie des régimes qui se sont développé pendant la guerre froide sous l’influence des idéologies et du modèle soviétiques. Il ne connaît ni participation politique ni autonomie de la société civile. La fusion des pouvoirs qui le caractérise donne au pouvoir exécutif une grande liberté d’intervention, voire d’arbitraire, dans tous les domaines . C’est ainsi qu’il s’assure l’assujettissement des sociétés, privées d’autonomie et de véritables garanties juridiques.

Cependant, les crises qu’a connues l’autoritarisme syrien depuis les années 70 ont incité les dirigeants à tenter quelques ouvertures ou, comme certains observateurs l’on décrit, des tentatives de « décompression politique » . Ainsi, dès 1990, les autorités ont accepté de réduire le nombre de sièges attribués aux ba’thistes et à leurs alliés du FNP aux deux tiers du nombre total . Même si tous les candidats dits indépendants ne peuvent figurer sur les listes électorales sans avoir au préalable l’accord explicite des appareils politiques et sécuritaires (mukhabarat), les nouvelles élections ont connu pour la première fois une campagne électorale et un semblant de compétition entre les 9OO candidats indépendants pour les 82 sièges qui leurs ont été attribués (le tiers) .
Ainsi on a admis l’entrée au parlement des députés indépendants, à moins qu’ils ne soient suspects d’opposition. Cette volonté d’élargir la base de participation politique s’est confirmée, encore une deuxième fois, à l’occasion des élections des représentants de la Chambre de Commerce de Damas en automne 1993 où des hommes d’affaires ont pu disputer les sièges du Conseil de la Chambre . Il est à noter aussi, qu’à partir des années 90, la censure imposée à l’entrée de la presse étrangère commençait à se faire moins stricte et le quadrillage des populations par les forces de sécurité plus discret. Et, même si les arrestations arbitraires continuaient, l’on a vu pour la première fois des libérations en masse de prisonniers politiques en décembre 1991 puis en mars et décembre 1992). Ont bénéficié des mesures d’amnistiés plus de 6000 personnes, tandis que des procès en justice, quoique sommaires, ont été organisés pour légaliser la détention de milliers d’autres personnes restées pendant plusieurs années sans jugement ni chef d’accusation . Dans la foulée, les organisations internationales des Droits de l’Homme ont été autorisées, pour la première fois aussi, à s’informer sur place des conditions de détention des opposants politiques.
Plus significatives sont encore les mesures visant à démanteler la logique de guerre qui s’était instaurée depuis les tragiques événements de Hama de 1982. Le quadrillage par les forces militaires et sécuritaires imposé sur toutes les villes depuis plus d’une décennie a été progressivement allégé. Les multiples points de contrôle et de séquestration provisoire des citoyens ont commençaient à disparaître dans la plupart des quartiers et des artères principales, tandis que l’arrestation improvisée des personnes devenait moins fréquente. Par rapport à la répression aveugle qui a caractérisé les années précédentes, la limitation des bavures policières a été ressentie comme une véritable détente. Elle a été vécue comme une reconnaissance de la fin de la guerre qui a opposé à la fin des années 70 le pouvoir aux groupes islamistes extrémistes .

La fin de la guerre froide avec la disparition du grand allié soviétique d’une part, l’aggravation des difficultés économiques d’autre part, ont fini par convaincre les autorités ba’thistes de la nécessité d’une meilleure adaptation politique et économique à la nouvelle donne internationale . Dans cette perspective, et pour éviter une assimilation rapide du régime ba’thiste aux ex-régimes communistes, les responsables syriens ont trouvé bon de manifester une relative tolérance à l’égard de l’opinion publique et de mettre en avant, tant que cela ne comporte pas de grands risques, les faux-semblants de pluralisme politique et de légalisme du système.
Mais, les mesures de décompression politique, et la nouvelle loi électorale de 1990 autorisant des indépendants non ba’thistes à présenter leur candidature n’ont comporté aucun projet de réforme à long terme . Non seulement l’activité politique a demeuré inhibée, mais le parti Ba’th a continué d’imposer son monopole sur toutes les institutions. Les alliés du Ba’th au sein du Front National Progressiste n’ont eu le droit à un siège social et aux organes de presse autonomes qu’une décennie plus tard, après l’accession du Président Bachar al Assad au pouvoir.
S’il était encore tôt de parler d’ouverture politique, ces mesures ont créé un nouveau climat. Elles ont donné de bons signes aux milieux d’affaires syriens qui étaient, d’ailleurs, les seuls à même de mener leur campagne sans l’aide de partis, formellement exclus du jeu électoral . Elles ont suscité l’intérêt des capitales occidentales sur lesquelles Damas commençait à compter pour relancer les négociations syro-israéliennes en vu de la récupération du Golan occupé en juin 1963.
Mais, comme il s’est avéré plus tard, l’ouverture des années 1990, a été plutôt une sorte de « lifting démocratique » qu’une véritable amorce d’une réforme politique . A travers les techniques d’ouverture sous surveillance, la Syrie illustre le paradigme de Lampedusa : « changer pour que tout reste le même » .
Le même scénario sera suivi par Bachar al Assad qui, après avoir promis des réformes de fond, tolérant même en 2001 un début de libéralisation politique avec l’émergence du mouvement de la société civile, déçoit tout le monde, en Syrie comme à l’étranger, en mettant soudainement un terme aux réformes et en faisant arrêter les initiateurs de ce qu’on a appelé le « printemps de Damas ».
Ainsi, malgré tous les changements que le régime a tentés d’introduire dans son mode de gestion des affaires publiques, la situation reste, en termes de participation politique, respect des libertés fondamentales et des Droits de l’homme, application de la loi, autonomie de la société civile, bien en deçà de celle qui prévalait à l’arrivée du président H. al Assad au pouvoir en 1971, et cela presque trois décennies après les événements de 1982.
La Syrie ne semble pas avoir vaincu le traumatisme de ces événements qui a poussé la société à douter d’elle-même et n’a laissé que très peu de traces visibles des notions politiques fondamentales telles que : droit, liberté, citoyenneté, individualité, légitimité politique, rationalité, service civil, administration et même société.
En effet, depuis les années 80, le très lourd contrôle sécuritaire ne se limite pas à la seule sphère politique. Il s’étend sur l’ensemble des structures de la société civile éliminant tout espace privé. Ainsi, les services de renseignements, comme une gangrène, infiltrent et détruits de l’intérieur toute velléité d’autonomie intellectuelle ou sociétale. Aucune activité : sociale, économique, culturelle, médiatique, éducative, sportive, de loisirs ou de bienfaisance ne peut échapper à leur contrôle direct, voire à la manipulation. Au-delà la dictature, la domination du Ba’th sur l’Etat et la société prend plutôt la forme d’une colonisation. Elle est aussi dévastatrice que stérilisatrice pour les formes de solidarité et liens sociaux fondamentaux.

L’absence ou le refus de séparer l’espace public de l’espace privé ont marqué la pensée du parti Ba’th qui, comme tous les partis politiques qui se sont investis d’une mission historique révolutionnaire, se considère responsable de l’« encadrement des masses », de leur éducation et de la formation de leur conscience. Pour ce faire, le pouvoir ba’thiste a été amené, dès le début de son installation en 1963, à agir dans deux directions: La création de toute une série d’organisations nouvelles s’occupant de « l’embrigadement» des individus, dès leur jeune âge jusqu’à la fin de leur vie, et la prise en main des structures civiles existantes (syndicats, associations, médias, clubs, etc.).
Les premiers des organismes civils créés ont été les Avant-gardes de la Révolution qui prennent les enfants en charge de l’âge de six ans jusqu’à l’âge de 11 ans, sans se soucier de l’avis de leurs parents. Quittant les Avant-gardes, les enfants entrent dans le deuxième organisme appelé l’Organisation de la Jeunesse de la Révolution qui les accompagne jusqu’à la fin de leurs études secondaires. A ce niveau, l’adhésion à cet organisme peut être payante, puisqu’elle est gratifiée de notes qui s’ajoutent à la moyenne générale des bacheliers, ce qui leur permet de s’inscrire dans les disciplines prisées à l’Université, à savoir la médecine ou les études d’ingénieur . Arrivés à l’université, les jeunes qui veulent assurer leur avenir, avoir une bourse, une chambre à la cité universitaire, des réussites garanties aux examens ou un poste de travail à la fin des études ont intérêt, quelles que soient leurs convictions idéologiques, à se joindre à l’Organisation de l’Union des Etudiants syriens. Lorsque les jeunes quittent l’université, ils sont accueillis par les organisations professionnelles comme l’Union des Travailleurs, l’Union des Paysans, l’Union des Ecrivains etc. Concernant les femmes, le Ba’th a créé l’Union générale des Femmes syriennes. Toutes ces organisations sont aujourd’hui contrôlées et dirigées par des membres du parti Ba’th ou par des hommes gagnés à sa cause. Puisqu’il est maintenant acquis comme évidence que tous les postes de responsabilité dans l’Etat, l’administration, l’enseignement ou les organisations de la société civiles doivent être attribués aux membres du parti au pouvoir et de ses alliés au sein du FNP, tous les jeunes qui quittent l’université et qui espèrent occuper un poste de responsabilité ou simplement trouver un emploi sont obligés d’adhérer au parti Ba’th qui compte aujourd’hui, selon les chiffres avancés par ses responsables eux-mêmes, 1,800000 membres inscrits sur une population d’environs 18 millions d’habitants.
Quant à la main mise quasi totale du parti unique et de ses agences sur l’ensemble des appareils de l’Etat et des structures de la société civile, elle n’a pu se réaliser qu’au prix d’un long effort de répression mené à l’égard des partis de l’opposition et d’une généralisation de l’application des lois d’exception. Dès les années 80, en réaction à l’insurrection armée des islamistes, mais aussi pour faire taire les revendications démocratiques émanant de plusieurs ordres professionnels, le pouvoir décrète, en avril de la même année, la dissolution des principaux syndicats, avant de publier de nouvelles lois réorganisant les ordres professionnels d’avocats, d’ingénieurs et de médecins (respectivement la loi n°39 du 21.8.1981, n° 26 du 13.7.1981 et n° 31 du 16.8.1981). Dans les nouveaux textes, il est clairement indiqué (p. ex. art 1 de la loi sur le métier d’ingénieur) que « le syndicat d’ingénieurs est une organisation professionnelle qui défend les objectifs de la nation arabe concernant l’union, la liberté et le socialisme. Il s’engage à œuvrer pour réaliser ces objectifs en accord avec les directives du parti Ba’th arabe socialiste et dans le respect de ses décisions ». L’article 51 stipule que « le premier-ministre a le droit de dissoudre le Congrès général ainsi que le Conseil d’administration, les Sections et leurs Conseils lorsqu’il estime que ces instances se sont détournées de leurs missions et objectifs. La décision du Premier ministre est définitive et irrévocable». Dans ce cas, selon l’article 52a, le Premier ministre convoque le Congrès général ou la Section à se réunir dans 15 jours pour une réélection d’un nouveau Conseil. S’il ne le fait pas dans le délai mentionné, il doit nommer par décision de sa part un Conseil provisoire qui aura les mêmes compétences que le Conseil syndical élu .

Le contrôle sur les média et les moyens d’informations écrits ou audio-visuels n’est pas moindre. Il a été imposé par la décision n° 4 du « Conseil national du commandement de la Révolution » décrétant, dès le premier jour du coup d’état du 8 mars 1963 « la suspension de la publication de tous les journaux dans l’ensemble du pays à partir du 8.3.1963 jusqu’à nouvel ordre, excepté : al-Wahda al-arabiya, Barada, al Ba’th. Les imprimeries sont interdites d’imprimer toutes autres publications sauf pour les textes autorisés par le Ministère de l’information ». Ainsi, pour contrôler les médias et fermer l’espace intellectuel et informationnel à toute compétition, le gouvernement a choisi la stratégie simple de l’annihilation de toute liberté d’expression. Cette solution est doublement utile, puisqu’elle permet au pouvoir exécutif de monopoliser l’information, à des fins de propagande politique partisane, et de confisquer la parole sociale pour priver tous les acteurs de la scène politique, associative et intellectuelle de tout moyen d’expression propre . Et pour combler le vide, le parti, en osmose avec l’Etat, publie une panoplie de revues et de quotidiens qui s’adressent, dans une stratégie corporatiste, et en fonction des préoccupations particulières de chacune d’elles, à toutes les catégories de la population .

Avec la dissolution des syndicats, l’interdiction de toute libre expression, la main mise sur toutes sortes d’associations : économiques, culturelles et sociales, la société civile n’a plus d’existence propre. Elle est totalement intégrée dans les organes de l’Etat et du parti unique, sous la haute surveillance des appareils de sécurité omniprésents et dans une totale impunité politique et juridique .

 


4. Bilan de 40 années de gouvernement Ba’thiste

Le repli sur soi de la population, l’absence de contestabilité, la fusion entre le parti politique et l’Etat, l’élimination du débat public et l’instrumentalisation des médias créent les conditions d’une constante dégradation de la gestion des ressources publiques et d’une incontrôlable corruption. Dans tous les domaines de l’économie et de l’administration les normes de la gestion publique sont ignorées, voire oubliées. Pourvu qu’ils donnent à César ce qui est à César, c’est-à-dire qu’ils participent convenablement aux rituels du culte de la personnalité et s’intègrent dans les réseaux d’intérêts particuliers, les responsables comme les employés ont pratiquement les mains libres dans les secteurs qu’ils contrôlent . Ils sont pour cela aidés par l’absence des règles claires et la présence de textes juridiques rigides et figés, difficiles à respecter.
Le bilan catastrophique de cette gestion a été dénoncé par l’un des plus hauts responsables de l’Etat. Excédé par l’absence de réalisations et de résultats positifs, l’ex-président du parlement syrien avait observé, il y a déjà plus de deux décennies, que « lorsque l’administration s’occupait de l’exécution d’une décision prise par le gouvernement, on pouvait être sûr que les résultats seront contraires, partiellement ou totalement, aux buts recherchés par le gouvernement (…). Les erreurs de l’administration se sont accrues et accumulées pour conduire à l’échec des plans de développement» .
En effet, il ne se passe plus de semaine sans que la presse ne rapporte les nouvelles de la mise à la retraite, par décision du Premier ministre des administrateurs ou fonctionnaires du secteur public et du service civil. Parmi les personnes déférées en 2002 devant les tribunaux pour répondre aux accusations de corruption figuraient plusieurs hauts fonctionnaires dont deux dignitaires du régime, les députés : M. al Abed, ex-président de l’Union des Paysans et son adjoint, M. H. Mayhoub. Ont été également visés par la même mesure le Directeur du Port de Tartous, le PDG de la Société publique pour la construction Jabal Qassion, Le PDG de la plus grande banque syrienne, la Banque commerciale. Le 8 septembre 2002, c’était le tour du Directeur Général de la Banque agricole ainsi que les responsables de sept de ses filiales d’être accusés du détournement des fonds publics .
Le dysfonctionnement de l’Administration n’est pas seulement le résultat de la fusion des intérêts publics de l’Etat et de ceux privés du parti. Il dépend de beaucoup d’autres facteurs comme la complexité des procédures administratives, l’absence de transparence, la dissimulation des informations, la sclérose des cadres, la multiplication des tutelles ministérielles et l’incohérence des textes juridiques dictés souvent par des intérêts immédiats ou par la volonté d’occulter les difficultés. Il ne faudrait pas ignorer également la faible rémunération du travail qui oblige les gens à chercher un deuxième travail à côté. Selon les statistiques des économistes syriens, 96% des employés de l’administration civile reçoivent des salaires en dessous des dépenses moyennes nécessaires et 68% d’entre eux ont des salaires qui ne couvrent même pas les besoins essentiels en produits alimentaires .
Si l’on ajoute à cette mauvaise gestion causant la paralysie du système, le tarissement des contributions financières arabes, on comprend plus facilement les raisons qui ont conduit l’économie syrienne, dès le début des années 1980, dans une longue phase de stagnation.
La politique d’austérité fondée sur le gèle des salaires dans le secteur public, l’application d’une nouvelle politique fiscale et la réduction des investissements et des dépenses de l’Etat, n’arrangent en rien la situation . Les résultats de cette politique qui relève de l’application non déclarée d’un plan d’ajustement structurel maison, ont été très défavorables à la croissance économique. Ainsi, la part du PNB par habitant est tombée entre 1980 et 1997 de 16%. Les conséquences sont particulièrement négatives au niveau de l’emploi. Selon les chiffres officiels le taux du chômage s’est élevé à 9.5% de la force active alors qu’il est estimé à 15 voire à 20% par des économistes indépendants . Selon les statistiques de 1999 le taux des chômeurs qui n’ont jamais travaillé s’élève à environs 83% de l’ensemble, et les jeunes sont les plus touchés (72,3% de la catégorie de jeunes de 15-24 ans) tandis que 43% de la force du travail est employé dans le secteur informel de l’économie. La situation n’a pas changé malgré toutes les mesures prises par le gouvernement Miro puis par celui de al Otri pour lutter contre le chômage dont le taux passe, selon les chiffres officiels, de 9,5 en 2000 à 13,5 en 2005.
Parallèlement à l’aggravation du chômage, le pays connaît un processus accéléré de paupérisation . Selon les chiffres du Bureau central des statistiques de 1999, 68% de salariés gagnaient moins de 5000 LS (l’équivalent d’environs de 100 dollars) par mois; 23% gagnent de 5000 à 9000 L.S. et 9% gagnent plus de 9000 LS . Depuis 2000, l’augmentation des salaires a dépassé 50%, mais elle a été, malheureusement, vite annulé par l’augmentation continue des prix de produits de consommation (taux d’inflation annuelle de 10%).
La politique fiscale pratiquée depuis un quart de siècle renforce ne peut que renforcer encore plus l’injustice. Elle frappe très lourdement les salariés qui ont vu leur pouvoir d’achat s’effondrer dans le dernier quart de siècle. Selon certaines estimations, la contribution des salariés aux recettes fiscales est de l’ordre de 48% alors que la part des salaires du revenu national est seulement de 25.6%, comparée à la contribution de ceux qui ont des possessions qui est de 52 pour une part estimée à 74.4% du revenu national . La perte des recettes fiscales, due à la non imposition des grands hommes d’affaires, pour une raison ou une autre, à été estimé par les milieux officiels, en 2006, à plus de 200 milliards de livres syrienne. Cette répartition du fardeau fiscal ne reflète pas seulement le caractère injuste du système d’imposition mais également, la carence de l’Etat dans la collecte des impôts sur les sociétés ou les propriétés du fait de cette fusion entre les détenteurs du pouvoir et ceux des capitaux.
La dégradation des conditions de vie des classes populaires se reflète également à travers l’état de délabrement des services publics. La part de ceux derniers du PNB ne dépasse pas, selon les dernières statistiques, 8% en moyenne alors qu’elle est autour de 14% pour les autres pays arabes. Dans tous les secteurs, le gouvernement a procédé à une réduction des dépenses qui s’est traduite par la détérioration et une forme déguisée de privatisation.
Ainsi, les dépenses pour l’éducation sont tombées de 7.3% du budget en 1981 à 4% en 2000, en dépit de l’accroissement du nombre des jeunes scolarisés et des étudiants à tous les niveaux. Le résultat a été des classes surchargées, des salles de classe utilisées par alternance, des moyens techniques insuffisants et une baisse sensible de la qualité de l’enseignement qui incite les pouvoirs publics à susciter le développent de l’enseignement privé après longue période de prohibition.
Dans le domaine de la santé, les dépenses par rapport au PNB sont estimées en 1998 à 0.8% dans le secteur public et à 1.6% dans le secteur privé, c’est-à-dire beaucoup moins que les dépenses publiques des pays voisins . En effet, la part des dépenses budgétaires dans le domaine de la santé n’a pas évolué au cours des trente dernières années se situant autour de 3%. Cependant les dépenses de fonctionnement ont augmenté au détriment des dépenses d’investissement, passant de 25% au début des années 1970 à 75% en 1997. Cette situation n’a guerre changé depuis, alors que la majeure partie des équipements publics remonte aux années 1950-1960, ce qui pose un véritable problème de santé publique .
La détérioration des conditions de vie de la majorité de la population s’illustre mieux encore par la carence des pouvoirs publics dans le secteur de l’habitat. Selon les dernières études officielles, 36% des populations de Damas vivent dans 43 quartiers construits illégalement (bidonvilles) ne bénéficiant d’aucun service public . La spéculation immobilière et flambée de prix des produits de construction (le prix du ciment a monté de 50% en mars 2006) décidée par le gouvernement al Otri, n’arrangent guerre la situation. C’est la classe moyenne qui se trouve dépossédée de ses ressources et exclue de la propriété des ses logements.
L’état de l’environnement va dans le même sens. Ainsi, l’Etude de la Stratégie nationale de l’environnement de 2000 évalue le manque à gagner dû à la dégradation de l’environnement de 29 à 32 milliards de LS en 1997 et de 46 à 54 milliards de L.S. en 2005 (entre 1,2 et 1,7 milliards de dollars). La même étude indique qu’environ 50% des terres cultivées (3,2 millions hectares) souffrent des effets nocifs d’érosion, de salinisation, et de désertification , alors que 40% des populations des centres urbains respirent un air très pollué.

 

 

5. Politiques de réformes : libéralisation et démocratisation

Dès 1961, et plus particulièrement depuis le 8 mars 1963, l’économie syrienne a rompu avec le modèle dit du marché pour adopter celui de l’économie planifiée. Le but de ce choix a été d’assujettir l’économique au politique pour contribuer au renversement des hiérarchies sociales existantes et réaliser l’objectif final, à savoir la construction d’une société socialiste plus juste. Avec la nationalisation du commerce après celle de moyens de production et la réforme agraire, réalisées depuis 1963, cet assujettissement a été atteint et, avec lui, la liquidation de la l’embryon de la classe industrielle syrienne, sur laquelle s’est reposé, depuis la fin de l’empire ottoman, la modernisation du pays, c'est-à-dire le développement d’un secteur privé plus ou moins dynamique et la mise en place d’une Etat et des institutions de type libéral.
Une nouvelle Syrie, sortie essentiellement des campagnes, émerge à la place de l’ancienne qui a été dominée par les villes et animée par les grandes familles qui détenaient capital et culture. Cette Liquidation de la bourgeoisie citadine, annonce également la disparition de son expression politique, les partis libéraux, issus du combat pour l’indépendance : Hizb ash-Sha’ab (parti du peuple) et Hizb al-Watani (parti national), mais aussi celle de tout un monde intellectuel et social.
Parallèlement à l’émergence de la nouvelle Syrie, se développent, à partir des années 63, en marge de l’économie planifiée, la bureaucratie qui s’impose comme le seul groupe social susceptible d’unifier l’état et la société.
Mais, dès les années 73, grâce aux contributions financières substantielles des monarchies du Golfe, enrichies par l’augmentation spectaculaire du prix du pétrole, se met également en route, une nouvelle classe d’affaires constituée de commerçants, d’entrepreneurs, de dignitaires militaires ou politiques du régime convertis en hommes d’affaires ou associés . Ayant un pied dans l’économie planifiée et un autre dans l’économie du marché, cette nouvelle bourgeoisie, ambivalente, ne cesse depuis de se renforcer, tirant profit de la mise en exploitation du pétrole syrien, du pillage de l’économie libanaise pendant l’intervention de l’armée syrienne au Liban, au détournement des fonds publics, directement à travers les commissions touchées sur les marchés publics, ou indirectement, à travers l’association des hommes d’affaires avec des responsables politiques ou militaires qui leurs assurent facilités et protection . Bientôt la génération des parents, responsables politiques ou militaires, hommes de sécurités ou parents des hauts dignitaires, seront supplantés par la seconde génération des enfants, qui seront les premiers à bénéficier de l’infitâh (ouverture économique) et à investir dans les activités touristiques, médiatiques et autres .
Ainsi, dès la fin des années 80, dans l’espoir de pallier à la carence de l’économie d’Etat et de regagner les milieux des commerçants après les tragiques événements de 1982, un relâchement en faveur de l’économie de marché se fait sentir. Il sera confirmé au début des années 90 par la publication du fameux décret n°10 du 4.5.1991 qui représente, plus que toutes les mesures précédentes, une reconnaissance du rôle du secteur privé et un encouragement aux investisseurs arabes et étrangers. Ainsi, pour la première fois, les représentants de ce groupe ont pu faire partie, à côté des officiels, de la délégation syrienne présente aux réunions de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire international en automne 1993 .
Les résultats de ce premier infitâh (ouverture), ne s’est pas faits trop attendre. Selon les chiffres officiels, les investissements privés sont montés en 1995 à 11,104 milliards de LS, alors que les investissements du secteur public n’ont atteint, pour la même année, que 8,362 milliards . En termes de formation brute du capital fixe, le secteur privé a dépassé le secteur public. Il contribue de l’ordre de 55% du PIB en 1990 .
La pression pour l’adoption d’une politique plus libérale ne cesse depuis lors d’augmenter, encouragée par la défaillance évidente du secteur public, le renforcement du rôle de la nouvelle classe d’affaire et, sans doute aussi, par l’ouverture des négociations de paix arabo-israéliennes dans le cadre de la Conférence de Madrid .

Mai, il a fallu attendre l’arrivée d’un nouveau président au pouvoir, qui n’est autre que le fils cadet du président défunt, pour assister à la première tentative de transformation du système bureaucratique étatiste. Proclamé président dès la mort de son père par un parlement enthousiaste et totalement gagné à la cause, il soulève, par son discours d’investiture, le 21 juillet 2000, un véritable espoir de changement au sein de l’élite intellectuelle et des classes moyennes longuement marginalisées.
Dans la première phase de son mandat, le nouveau président multiplie les gestes d’apaisement. En invoquant la nécessité d’introduire de grandes réformes, il reconnaît implicitement l’existence de la crise sociale et politique. Il se dit plus libéral et respectueux de l’autre opinion. Et dans ce sens, il multiplie les gestes de détente : il signe l’élargissement de 600 prisonniers politiques, ordonne la fermeture de la prison al Mazze, symbole de l’oppression policière, et se montre sensible à son opinion publique à laquelle il tient à s’adresser, à plusieurs reprises, par l’intermédiaire des média ou à l’occasion des cessions parlementaires.
Saisissant l’occasion de ce qui semblait comme une volonté de réconciliation, la société politique, ou ce qui en est restée, commençait à rêver. Tout le monde avait le sentiment que l’heure de la normalisation était enfin arrivée, après de décennies d’affrontement et de rupture, quasi totale, entre le pouvoir ba’thiste et le reste de la société. En porte-parole d’une classe moyenne longuement martyrisée, les intellectuels annoncent la naissance de la société civile indépendante, en publiant la Déclaration dit des 99 (au nombre des signataires) qui résume les principales revendications d’un projet de démocratisation. Dans un texte court et sobre, ils appellent à la levée de l’état d’urgence, la libération de tous les prisonniers politiques, l’établissement de l’Etat de droit, au pluralisme politique et au respect des libertés fondamentales. Dans toutes les grandes villes du pays s’ouvrent spontanément des forums politiques, tenus dans des salons privés, que fréquente un public redécouvrant, pour la première fois, le débat public. Les associations de défense des Droits de l’Homme qui ont été durement réprimées dans les années précédentes, reprennent leurs activités, sans soulever une violente réaction de la part des autorités . L’espoir a été tel qu’un député indépendant, animateur de l’un des premiers forums ouverts dans le pays, va jusqu’à annoncer l’idée de la prochaine création d’un nouveau parti politique du nom de Mouvement de la paix sociale .
Cependant, cette évolution de la situation politique ne correspond pas avec les orientations du nouveau régime qui met l’accent sur la réforme économique et administrative, dite à la chinoise, c’est-à-dire qui mise sur une libéralisation essentiellement économique, excluant la transition vers un régime pluraliste très risqué .
Face aux difficultés multiples que connaît le secteur public, le gouvernement propose un autre mode de gestion dit gestion par objectifs. Ainsi, l’Etat tout en continuant son statut de propriétaire des entreprises publiques, en concède la gestion à des personnes physiques ou morales privées sous son contrôle, ce qui devrait garantir aux chefs d’entreprises publiques un peu plus d’autonomie . Sur le plan économique, le nouveau gouvernement de M. Mustafa Miru travaille pour la modernisation des lois sur l’investissement, l’industrie bancaire, l’impôt, l’habitation, tout en continuant les négociations avec l’Union européenne pour bénéficier des avantages du partenariat méditerranéen proposé . Sur le plan administratif, le même gouvernement essaie, tout en poursuivant sa campagne contre la corruption, de moderniser l’administration publique. Le Président a demandé, dès 2001, à tous ses ministres de lui présenter un plan de réforme administrative afin de remédier à la carence manifeste d’une administration à la fois chaotique, hyper-centralisée, incompétente et en manque cruel d’équipements techniques.
Cependant, même si le discours s’y refuse, prétextant que la Syrie doit éviter de tomber dans le piège qui a conduit à l’effondrement du système soviétique, le volet politique n’est pas totalement absent du programme de réformes défendu par le nouveau régime. L’autorisation d’un certain pluralisme comme la libéralisation des médias à caractère non politique sont à l’ordre du jour de la réforme actuelle. Une loi autorisant le pluralisme politique et la création des associations civiles, voire même celle d’un Conseil national des Droits de l’Homme, promise depuis cinq ans, semble être également en préparation pour 2006, et cela après la publication, il y a un peu plus de quatre ans, de la loi sur l’information et l’édition autorisant la création de la presse privée .
La question qui reste posée est de savoir si les nouvelles lois sont destinées à ouvrir véritablement le système ou bien à l’enfermer davantage.
La loi sur la presse, et les directives qui ont été publiées (le 22.9.2001), n’ont rassuré personne. Pour la plupart des professionnels, il s’agit beaucoup plus d’un recul sur des règles déjà ultra-draconiennes que d’une avancée sur la voie de la libéralisation du droit à l’expression. Le texte de la loi sur la presse n’est qu’un catalogue de peines énumérées et mises en évidence à l’intention de tous ceux qui oseraient dépasser, parmi les journalistes, ce que la nouvelle administration a consacré comme tabous et lignes rouges à ne pas franchir. L’article 51, par ex. stipule la peine d’emprisonnement d’un an à trois ans et d’une amende de 50000 à un million de LS « pour tous ceux qui diffusent des informations non-fondées ou qui nuisent à la stabilité générale ou portent préjudices aux relations internationales (de la Syrie) ou constituent une atteinte au prestige de l’Etat ou à son honneur ou qui touchent à l’unité nationale et au moral des forces armées ou qui causent des préjudices à l’économie et à la monnaie nationale ».
Le problème de cette loi ne vient pas seulement du caractère vague des éventuels chefs d’accusations mais, plus encore, du fait que le législateur donne toute latitude d’interpréter le texte et de le faire appliquer par le Ministre de l’information et par lui seul. L’article 10 va encore plus loin en donnant à ce dernier le droit d’interdire l’accès en Syrie de toutes les publications étrangères qui pourraient porter atteinte à la souveraineté et à la sécurité du pays ou à l’éthique générale.
La loi n° 50 sur la presse légalise en réalité la censure pratiquée systématiquement depuis plus de 40 ans. Elle n’a même pas réussi à unifier cette censure qui semble continuer à dépendre des trois organes en place: le Ministère de l’information en matière d’information générale, l’Union des Ecrivains arabes (syrien) concernant les textes à caractère littéraire, Le Commandement National du parti Ba’th pour les textes à caractère politique et religieux. C’est ce qui fait dire à certains analystes que le système de censure que le pouvoir a mise en place vient renforcer plus que jamais les peines prévues à l’encontre des personnes qui oseraient dépasser les fameuses « lignes rouges » du ministère et du parti Ba’th. Elle enlève pratiquement toute illusion sur l’existence éventuelle de la liberté d’expression, obligeant les professionnels de la culture et de l’information à marcher sur un champ de mines .
La loi sur la presse vise manifestement, comme beaucoup d’autres lois votées en silence, à légaliser et renforcer la mainmise de la nouvelle classe d’Etat et ses alliés sur le processus de prise de décision dans la perspective d’une ouverture formelle vers la presse privée. Cette tentative de condamner la porte de l’expression libre en faisant semblant de l’ouvrir ne reflète pas la réticence d’une hiérarchie politique craignant pour sa survie, mais également la dégradation définitive de la culture politique qui amène cette dernière à voir dans toutes réformes une atteinte intolérable à ses droits et prérogatives.
Même dans le domaine économique, cette bureaucratie ne semble pas prête à avaliser la relative libéralisation entreprise depuis l’accession de Bachar al Assad au pouvoir, il y a cinq ans. Ainsi, en dépit de toutes les pressions internes et externes en faveur de l’accélération du processus de réformes, elle continue à entraver ou à retarder, par plusieurs façons, l’application des lois votées, qu’il s’agisse de la création des banques privées, de la réforme du système monétaire (17.03.2002), et des dizaines d’autres réformes votées ou promises, pour la modernisation de l’administration ou le secteur économique public .
Dans ces conditions, et à moins que la pression politique interne ou des événements majeurs externes ne viennent bouleverser la donne, il est improbable qu’une véritable classe d’affaires puisse émerger et prendre son autonomie dans un système qui continue d’être dominé par l’establishment sécuritaire et militaire, même si les déficits économiques et les pressions du nouvel ordre mondial néo-libéral continuent de peser lourdement sur le système autoritaire.
D’une part la nomenklatura ne semble pas disposer à céder la moindre de ses prérogatives exceptionnelles, acquises depuis les tragiques événements de 1982 et qui lui confie une véritable tutelle sur l’ensemble du système, Etat et société. D’autre part, le changement radical de l’attitude des pays industrialisés à la suite de l’assassinat du premier ministre libanais en 2005, incite le régime, qui a toujours su utiliser le soutien extérieur pour neutraliser les pressions intérieures, à se replier sur lui-même pour faire bloc à tous les dangers. A cela il faudrait ajouter le fait que les capitales occidentales qui défendent des intérêts vitaux au Moyen Orient font très peu de confiance dans la capacité des opinions arabes à soutenir un véritable projet démocratique susceptible de faire d’elles des partenaires mondiaux à part entière. Elles craignent que les seuls bénéficiaires d’une éventuelle démocratisation des régimes politiques arabes soient les mouvements islamistes extrémistes.

 

 

6. Défis et perspectives

Le printemps de Damas, comme on l’a baptisé certainement dans l’espoir d’y voir le début d’une véritable ère de réforme politique en Syrie, n’a duré que l’espace de quelques mois. L’arrestation des intellectuels et des hommes politiques animateurs des clubs de réflexions, les lourdes peines que la justice leur a infligées, sous la pression évidente des hiérarchies sécuritaires et militaires, le rejet, depuis plus de cinq ans d’installation du nouveau président réformateur, de toute sorte de libéralisation politique ou médiatique, l’absence de tout projet cohérente de réformes à court, moyen ou long terme, l’incapacité à mettre en œuvre une stratégie de lutte contre la corruption généralisée à tous les échelons, ou même à moderniser l’administration, réduisent sensiblement les espoirs et renforcent les tendances à la crispation de toutes les parties, gouvernement, opposition et société civile. Ainsi, même si le système semble bloqué, les pressions pour des réformes substantielles vont croissantes. Elles viennent de l’intérieur et de l’extérieur.
C’est de l’extérieure que vient, depuis la chute du régime de Saddam Hussein et l’occupation de l’Irak par les troupes américaines en 2003, la pression la plus déstabilisatrice, et spécialement après l’assassinat du premier ministre libanais en 2005. le vote par le Conseil de Sécurité des Nations Unies de la résolution 1959 appelant la Syrie à quitter le Liban et surtout celle de 1664 l’invitant à coopérer avec la Commission d’enquête internationale sur la mort de Hariri, coupe le régime syrien de la communauté internationale et le met dans le banc d’accusation. Non seulement la signature de l’accord de partenariat avec l’Union européenne est retardée mais toute la politique de réformes se trouve compromise. Comme le président syrien l’a bien exprimé, la priorité n’est plus à la réforme de l’économie, mais à la sécurité. Même si les responsables syriens ne cessent de clamer leur innocence, tout est organisé pour faire face aux éventuelles accusations de Damas d’être l’instigateur de l’assassinat du premier ministre libanais.
Mais, au-delà de la multiplication de ses pressions, le contexte international a changé. L’opinion publique mondiale supporte de moins en moins le modèle des régimes répressifs qui continuent d’ignorer les principes élémentaires du Droit et refusent de se conformer aux normes de la vie internationales.
Parallèlement au changement de l’environnement extérieur, la situation intérieure est en train de connaître une grande mutation. L’éveil de l’opinion publique d’une part et la dégradation des conditions de vie de la majorité de la population sous l’effet de la libéralisation économique, de l’incohérence du système et de la continuation de la corruption, d’autre part, renforce les tendances à la contestation. Pour la première fois depuis les événements de Hama de 1982, des affrontements opposent ces deux dernières années, des populations civiles à des forces de sécurité, aux différentes occasions. Le dernier en date a été l’affrontement, avril 2006, entre les forces de défense de l’ordre (Qowat hifz annizam) et les villageois de Ma’araba, localité proche de Damas, qui se sont rassemblées pour s’opposer à la démolition d’un logement illégal construit par l’un des leurs. Mais c’est également le cas des étudiant de l’université d’Alep qui ont été arrêtés et exclus de l’université en 2005 pour avoir protesté contre l’annulation d’un avantage qui assurent tous les diplômés de la faculté d’ingénieurs et d’architectes d’un emploi au sein de l’Administration après la fin d’études. Mais c’est le cas de la communauté kurde qui multiplie depuis trois ans les actions de protestation sur l’ensemble du territoire national pour obliger le gouvernement à reconnaître aux 200 à 300 milles citoyens le droit à la citoyenneté, qui illustre le mieux ce nouveau climat.
A l’ombre de ces changements de l’environnement intérieur se développe, au sein de la classe moyenne, venant juste de prendre conscience de son rôle et de sa place dans le système promis à l’ouverture, une plus grande volonté de promotion et de participation. Les conditions qui ont justifié le maintien de l’état d’exception n’existent plus. Les nouveaux groupes dirigeants qui ont pris le pouvoir par un coup militaire et n’ont pu s’y maintenir que par la consolidation du régime d’exception, sont aujourd’hui bien installés. Ils contrôlent pratiquement tous les rouages de l’Etat, alors que l’ancienne élite d’extraction citadine semble complètement décimée. Le transfert, à grande échelle et dans le plus court délai, du capital social vers la nouvelle élite est largement achevé. Le régime de l’arbitraire politique et juridique ne sert aujourd’hui que certains réseaux d’intérêts liés directement au pouvoir. La normalisation politique et juridique apparait, de plus en plus, aux yeux de toutes les composantes de l’élite syrienne, comme synonyme de paix et de réconciliation auxquelles tout le monde aspire. Elle est la condition de la validation des acquis de la nouvelle élite et sa seule chance de dépasser le caractère précaire de son pouvoir et d’assurer son intégration nationale.
Sous ces multiples pressions qui vont croissantes, les conflits ne tarderont pas à ressurgir au sein des élites au pouvoir. Le suicide du général Ghazi Kan’aan, chef des services de renseignement politiques, au début de cette année, ainsi que la rupture de l’ancien vice-président de la République, Abdel Halim Khaddam en février 2006, en sont les premières manifestations. A moins que les forces militaro-sécuritaires ne parviennent à créer et exploiter un climat de guerre, nationale ou civile, une partie de l’élite politique soucieuse de la prise en main d’une situation au bord de la faillite, sera amenée, tôt ou tard, à intervenir pour lever l’hypothèque sur les projets de réformes entravés depuis deux décennies par la confusion entre les intérêts publics et certains intérêts privés.
Mais, en dehors du pouvoir, les courants de contestation sont en constant progression. L’opposition politique a réussi pour la première fois à s’unifier au sein de la Déclaration de Damas (3 décembre 2005), tandis que les associations de la société civile attirent de plus en plus de militants dévoués. La Syrie est donc mieux disposée au présent au retour à la normale. Reste à savoir, dans quelles conditions et selon quelle modalité.

Certes, les résistances et les obstacles aux réformes et à la normalisation sont encore nombreux. Les réseaux d’intérêts qui colonisent l’Etat vont chercher à maintenir la réforme, même en terme économique, dans des limites qui confortent la bureaucratie politique et sécuritaires et assure une transition vers une économie de marché soumise à leur contrôle.
Mais, comme l’expérience de ces cinq dernières années la bien démontré, cette politique conduit directement dans une impasse. D’une part, elle prive le pays des partenaires étrangers sur lesquels le gouvernement mise pour relancer l’investissement. D’autre part, elle mine tous les espoirs dans la politique de la lutte contre la corruption.
La sortie de l’impasse dépend tout d’abord du renforcement des mouvements de contestations et de désertion du système autoritaire. Elle exige également la solidarité de la communauté internationale, représentée aussi bien par les ONG engagées dans l’action humanitaire que par les puissances occidentales qui exercent une influence déterminante au Moyen-Orient. Sur ce plan, on craint que leur division sur la voie à suivre pour aider la région à sortir de l’enlisement ne favorise, pour quelques années encore, la confusion.

 

 

L’on peut affirmer, dores et déjà, qu’aucune réforme ne sera à même de remettre la Syrie sur les rails et d’apporter des solutions aux problèmes qui rongent la vie politique, culturelle, économique et sociale du pays sans la satisfaction des quatre exigences:

1. Le rétablissement de la confiance, non seulement entre le pouvoir et la société, ce qui veut dire, ici, la substitution du dialogue, de la négociation et de la recherche du compromis à la coercition, mais encore plus, au sein de la société elle-même. Sur ce chemin, il faudrait beaucoup d’efforts pour éliminer les traumatismes de 40 ans de pouvoir arbitraire, vaincre la résignation, intéresser le peuple à la politique, faire revivre les notions d’Etat, de droit, de responsabilité, de liberté, de citoyenneté, réussir la réforme d’un champ économique désorganisé, maîtriser une bureaucratie pléthorique joignant l’incompétence à l’irresponsabilité et pour faire ressurgir les énergies enfouies.

2. l’application de la règle de droit. Sans droit, il n’y a ni Etat, ni politique ni société. Ce qui signifie, dans notre cas précis, le retour à la légalité et la levée de l’état d’exception, de la loi martiale et enfin de la prééminence des institutions militaro-sécuritaires dans la vie publique.
3. L’application de la règle de la compétence à la place de celle qui a dominé pendant toute la période dite de « Révolution », à savoir l’allégeance. Cela signifie, dans le cas de la Syrie actuelle, le retour au principe de l’égalité des chances et d’abord devant la loi. Aucune personne ne doit penser avoir plus ou moins de droits qu’une autre, et nul ne doit croire qu’il peut atteindre les mêmes objectifs par des moyens détournés ou plus faciles liés aux rapports de parenté, d’appartenance politique, de clientélisme ou de favoritisme.
4. L’application de la règle de la souveraineté populaire qui supprime toutes les tutelles possibles, établies au nom d’une guidance exceptionnelle d’un homme providentiel, d’un parti politique ou d’une élite missionnaire. Cela veut dire que seul le vote populaire dans des conditions normales et avec les garanties nécessaires du libre choix doit trancher les différends politiques et idéologiques au sein de la nation.
Mais, plus qu’en espoir, le changement est aujourd’hui une réalité, voire une fatalité. Les forces démocratiques, en Syrie comme ailleurs, peuvent compter, pour y arriver, sur l’intelligence, la conscience et la volonté de sortir de l’impasse de tout un peuple meurtri par des décennies d’abandon et d’humiliation.